vendredi 26 avril 2013

→ ANNWVYN SE MET AU THEATRE !

Non, rassurez-vous, en dépit des apparences, ce blog n'est pas mort (en tout cas pas enterré !). Seulement, entre mes cours, mon travail, le peu de temps libre qu'il me reste, je n'ai plus suffisamment de temps à lui consacrer. J'espère que vous ne m'en voulez pas, et je vous promets qu'un de ces jours, je reviendrai poster un ou deux articles, vraisemblablement plus courts qu'à l'ordinaire (même s'il m'en coûtera sans doute de ne pas écrire tout ce que j'ai envie de dire !).

Si je passe sur ces pages, c'est pour vous annoncer la naissance du petit frère d'Annwvyn's factory, Sur les planches, qui devrait en principe être exclusivement consacré au théâtre (je sais, le titre n'est pas très original, mais il a au moins le mérite d'être clair).

Voilà un petit bout de temps que je pensais ouvrir un tel blog (sans doute, vous avez vu que j'aimais le théâtre !), notamment parce que certains d'entre vous me lisent surtout pour mes billets en rapport avec le théâtre, et que de cette façon leur lecture sera facilitée !

Sur les planches se veut être un petit blog, sans prétention, qui n’aura qu’un seul objet : vous faire partager mon enthousiasme. Je veux vous raconter là-bas les pièces que je vais voir, celles que je lis, ou vous parler des comédiens que j’admire. Surtout, n'hésitez pas à y faire un petit tour de temps en temps ! Et en attendant mon retour sur Annwvyn's factory, vous pouvez toujours me retrouver dans une certaine auberge. A très bientôt !

vendredi 3 août 2012

→ REBELLE - BRENDA CHAPMAN ET MARK ANDREWS

Enfin j’ai vu Rebelle ! (Brave en version originale, titre à mon sens plus pertinent.) Depuis le temps que je l’attendais ! Autant vous le dire, en dépit de quelques maladresses, Brave vaut largement le détour. Je ne parlerai pas ici du court métrage La Luna, qui me semblait très prometteur, que mon cinéma (que je maudis au passage) n’a pas souhaité diffuser (je n’en suis encore pas remise !).

Brièvement, rappelons l’histoire. Le cadre est celui des Highlands de l’Ecosse médiévale, au Xème siècle, temps de légendes et de créatures féroces. Le roi et la reine d’Ecosse, Fergus et Elinor, sont les représentants du Clan DunBroch, l’un des quatre clans du pays.

Pour prévenir les guerres entre les clans qui sont fréquentes chez ces écossais passionnés, la coutume veut que les premiers nés de chacun des clans puissent prétendre à la main de la princesse d’Ecosse. J’ai nommé la fille ainée de Fergus et Elinor, notre héroïne, Merida.

Merida a une chevelure rousse flamboyante et des boucles à n’en plus finir. Loin d’être une princesse modèle, elle préfère tirer à l’arc, monter à cheval, parcourir les grandes étendues verdoyantes et les montagnes d’Ecosse, et escalader des falaises à mains nues. La condition qui est la sienne l’étouffe, l’oppresse et elle ne vit que pour être libre, indépendante.

Aussi, lorsqu’on lui annonce qu’elle devra épouser celui des fils aîné des trois clans alliés des DunBroch qui se montrera le plus talentueux au tir à l’arc, elle refuse violemment d’accepter cette situation. Elle décide de s’opposer à cette tradition archaïque et de prétendre elle-même à sa propre main en participant elle-aussi au concours de tir à l’arc, sans se soucier de savoir si oui ou non elle va entraîner la guerre entre les clans.

Je sais que ça n’en a pas l’air, mais en fait, Rebelle ne parle pas de la condition de princesse ou du protocole, et encore moins du prince charmant. Ce qui est au centre de l’histoire, ce sont les relations de Merida avec sa maman, Elinor, qui est finalement la seconde héroïne de Brave.

Le film décrit de façon extrêmement réaliste leur confrontation, leurs aspirations différentes. Brave est le film le plus intimiste, le plus proche de nous, de tous les Pixar que j’ai vus jusqu’ici (peut-être est-ce parce que c’est le premier Pixar presque entièrement réalisé par une femme ? Qui sait !).

Mais j’y reviendrai. Le mieux est de commencer par les critiques. Gardez en tête que tout est relatif : quand je vais voir Pixar, je m’attends toujours au meilleur, et par conséquent je me montre sévère ! Mes critiques portent d’ailleurs exclusivement sur le milieu du film, disons de la terrible erreur de Merida (je n’en dis pas plus, je ne veux pas vous spoiler ; et là-dessus, on reconnaîtra que la bande-annonce montre très peu de choses, et que c’est très bien ainsi !) à son retour au château, scène du retour comprise.

Le premier reproche que je ferais, c’est finalement un peu le même que celui que j’aurais fait à Là-haut. La force de Pixar réside dans cette volonté, ce talent, de faire des films qui séduisent aussi bien les enfants que les adultes. Pixar apporte toujours une profondeur qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui vient transcender le simple divertissement (déjà de haute volée, le divertissement !).

Cette ambition est tout à fait compréhensible (il y a l’idée reçue selon laquelle on ne peut faire un film d’animation pour adultes : pas le choix, si on veut toucher les adultes, il faut néanmoins toucher aussi les enfants) et profondément louable

Bref, on pourra dire que Pixar véhicule parfois un message conservateur à l’américaine (autour des "vraies valeurs") ou que sa stratégie est purement commerciale. Mais pour ma part, je me dis que l’essentiel est de réaliser de grands films. Et de ce point de vue là, le pari est quasiment toujours réussi.

Je ne le répèterai jamais assez. Je pense que Pixar est au-dessus de ses concurrents. J’aime Shrek, et l’Âge de glace. Mais tant du point de vue du scénario que de la qualité d’image, je reconnais que quasiment tous les Pixar leur sont supérieurs. Même Cars 2 qui a essuyé de nombreuses critiques était au-dessus du panier. Et j’ai horreur de Madagascar, que je trouve pauvre visuellement, grossier, et pas vraiment fin.

Ceci étant (voilà ma critique), apporter une nuance de gravité et de réflexion à un film d’animation divertissant, cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que dans Toy Story 3. Quand Pixar se montre plus ambitieux, cela peut devenir maladroit. Wall-E (que j’adore, et que j’admire tant le pari était fou !) est un film qui est coupé en deux. Aux problèmes de la vieillesse, de la solitude et de la liberté abordés par Là-haut, viennent soudain s’ajouter, et venus d’on ne sait où, des chiens parlant dignes des dessins animés pas très évolués produits à la chaîne pour la télévision.

Parfois c’est maladroit, et de temps en temps c’est même dérangeant. Voilà ce qui m’a gênée dans Rebelle. Répétons le, Brave n’est pas un Disney. Et ceux qui ont vu Raiponce ne peuvent pas faire la comparaison (bon, si on excepte une chanson de la VF, qui est chantée par Maéva Méline – la voix française de Raiponce). Le film est grave, presque violent dans ses symboles, et aborde des thèmes réellement sérieux, qui tendent presque vers notre vie quotidienne. 

Et c’est là que ça se gâte. Comme je l’ai dit plus haut, Merida fait une terrible erreur, déjà dérangeante en elle-même. Pourtant, bizarrement, elle passe de l’effroi et de la tristesse à une certaine désinvolture, permettant quelques petites tentatives d’humour inopinées si ce n’est incongrues, qui m’ont plutôt surprise qu’autre chose. Constamment, nous sommes sur le fil du rasoir. Une scène peut être drôle et naïve et l’autre nous rappeler la dure réalité. Durant toute la partie centrale du film, on ne sait sur quel pied danser, et au fond j’ai trouvé que cela rendait les choses encore plus dérangeantes.

Ce qui m’amène à la seconde critique. Brave semble construit comme un conte médiéval. A savoir qu’il n’y a pas de lente montée en puissance vers une fin en apothéose. Ce sont plutôt les péripéties et les décisions des personnages qui se succèdent de façon inattendue voire désordonnée, et en ce sens il vaut mieux se laisser porter par les événements. Cela ne m’aurait pas gênée si cela ne m’avait pas laissé une impression un peu brouillonne. On passe de passages apaisés à d’autres d’action, sans prendre le temps de s’installer dans l’un ou l’autre des passages, sans en profiter réellement.

Si on fait abstraction du cœur du film, qui m’a laissé une impression un peu floue, je peux dire que Rebelle est un très beau film !

D’un point de vue graphique, le film est splendide, sans doute à l’image des légendes écossaises. Les forêts sont sombres, baignées d’un éclat bleuté, les ours sont noirs et terrifiants, parfois la brume envahit l’air, les torches brûlent dans les couloirs du château… Magnifique réalisation technique ! Les images sont d’une beauté à couper le souffle ! Et c’est sans compter les cheveux de Merida, d’une couleur incroyable, qui bouclent dans tous les sens avec un naturel fantastique !

Ce qui est fabuleux, c’est cette immersion en pays écossais (qui doit être encore plus évidente en version originale, surtout que la voix de Bérénice Béjo n’est pas terrible). La musique de Patrick Doyle avec ses cornemuses, les coutumes ancestrales, la sorcellerie et les feux-follets, les menhirs, le gaélique, les thèmes du destin, de la bravoure, une malédiction, des récits mythiques que les écossais se racontent depuis la nuit des temps, la nature majestueuse mais effrayante… Voilà une incursion fascinante dans l’Ecosse d’autrefois.

Et reste enfin l’histoire. Si certains passages sont drôles (notamment le papa débonnaire de Merida, ou ses trois petits frères Hamish, Harris et Hubert, trop mignons !) je ne suis pas sortie du cinéma le cœur léger. Ce qui domine ce sont les passages tristes, émouvants.

Si tant est qu’on aime un peu sa maman, on ne peut pas être insensible à Brave. La reine Elinor est une femme exemplaire, admirable, qui a su conjuguer ses devoirs de reine, de mère, sans pour autant sacrifier sa force de caractère ou son courage. C’est un personnage féminin impressionnant. Mais Merida aussi est géniale. D’abord elle a les cheveux frisés (ce qui est bien) et roux, et ensuite elle a du caractère. Et Elinor et Merida s’aiment et se respectent énormément.

Pourtant, Brave raconte l’histoire de leur confrontation. J’ai trouvé certaines scènes particulièrement dures. La fin évidemment, mais également une autre scène fortement symbolique, celle où la tapisserie est déchirée. Sur un plan psychologique, j’ai trouvé que le film était parfois violent. Sans doute les enfants passeront à côté de cette violence, mais je peux vous dire qu’elle ne m’a pas laissée indemne. 

Mais au final, le plus important, c’est que Rebelle nous raconte aussi l’amour que Merida et sa maman se portent. Toutes les deux évoluent et cherchent à se comprendre. Brave est une énorme déclaration d’amour à toutes les mamans. Le message est tout simple. Et le message est très beau. Je suis sortie du cinéma très émue.

Brave est encore un film ambitieux de Pixar. Aborder de cette façon là le thème de la relation mère-fille, et dans un cadre aussi travaillé et chouette que l’Ecosse médiévale, c’est déjà franchement une prouesse. Peut-être les plus jeunes n’y trouveront-ils pas leur compte, on s’éloigne ici du divertissement, mais pour les autres, Brave est un film à ne vraiment pas rater. Juste pour voir qu’en termes de cinéma d’animation, on peut réaliser des choses totalement nouvelles.

Enfin, ma conclusion est pour le destin, et ces très jolis mots de Merida. Si tout le monde n’a pas la chance de trouver son destin, certains sont au contraire guidés vers lui. Pourtant, le destin est en chacun de nous, et on peut le trouver, pourvu qu’on se montre… brave.

dimanche 1 juillet 2012

→ UN FIL A LA PATTE - COMÉDIE FRANÇAISE

« Oh ! pardone ! yo le sais ! yo l’ai pas tuchurs été riche. Avant que yo le sois entré dans l’armée… comme chénéral ! yo l’avais pas de l’archent, quand yo l’étais professor modique et que yo l’ai dû pour vivre aller dans les familles… où yo donnais des léçouns de francess.
- De français ? Vous le parliez donc ?
- Yo vais vous dire ; dans moun pays, yo le parlais bienn ; ici, yo no sais porqué, yo le parlé mal. »

Hier soir, j’ai vu pour la troisième fois Un Fil à la patte à la Comédie Française. Je connais la pièce presque par cœur à présent (notamment parce qu’elle a été diffusée sur France 2, et que je l’ai regardée à plusieurs reprises depuis). Et pourtant, je ris toujours autant. Les contorsions de Christian Hecq sont toujours aussi formidables, et chaque plaisanterie est dite avec tant de naturel et de légèreté qu’on ne peut s’en lasser!

Vous avez forcément entendu parler d’Un Fil à la patte. Il y a eu tant de bruit autour de la pièce ! L’année dernière, lors de l’ouverture sur internet des réservations, le site de la Comédie française s’est trouvé saturé… en deux-trois jours, toutes les places de la salle Richelieu ont été vendues. Ce succès n’a pas été démenti par la suite, et le public est toujours aussi enthousiaste. La pièce a été diffusée sur France 2, puis jouée à deux reprises cette saison, et elle sera reprise pour la troisième fois consécutive l’an prochain.

Pourtant, j’ai découvert Un Fil à la patte presque par hasard, alors que personne n’en avait encore entendu parler. J’avais été invitée à l’avant-avant-dernière répétition de la pièce (soit la répétition précédant celle qu’on appelle la "couturière", elle-même précédant la "générale"). J’ai conscience de la chance incroyable que j’ai eue. Pourtant, sur le moment, je ne me rendais pas compte que je vivais un moment exceptionnel, et qui a sans doute peu de chances de se reproduire un jour.

Nous étions peu nombreux dans la salle Richelieu. Seulement deux classes de lycéens, deux-trois autres personnes, ma maman et moi. Les autres personnes présentes étaient là pour travailler. Juste derrière nous, le metteur en scène Jérôme Deschamps procédait aux derniers ajustements, à sa table de travail posée sur le dossier des fauteuils. Devant nous, côté cour, une personne avec une petite lampe et le texte sous les yeux, prête à vérifier que les comédiens allaient respecter à la lettre le texte de Feydeau.

Je m’attendais plutôt une vraie répétition (je veux dire des passages laissés de côté, d’autres répétés plusieurs fois, des comédiens qui s’interrompent… comme cela avait été le cas quand j’avais entr’aperçu une répétition de Fantasio peu de temps avant)… mais on ne peut pas dire que ça a été le cas ! En vérité, nous avons assisté à la pièce toute entière, aussi parfaitement interprétée que d’habitude, avec les mêmes costumes aujourd’hui familiers et les mêmes décors. Nous avons été le premier public à assister à Un Fil à la patte.

A la fin de la représentation, la plupart des comédiens étaient déjà rhabillés, et ils n’ont salué qu’à une reprise, tendus, dans l’attente de la première qui allait enfin leur faire savoir quel serait l’accueil du public.

Pourtant, avec le petit public que nous formions, les comédiens ont bien eu un premier indice que la pièce allait avoir un grand succès ! Comme j’ai pu le dire dans mon dernier billet, j’ai rarement autant ri ! Parce que je ne connaissais pas la pièce, même si j’étais familière de Feydeau (notamment de La Puce à l’oreille), et en raison de l’ambiance particulière de cette représentation là, j’ai été écroulée de rire du début à la fin. Je suis sortie du théâtre avec une merveilleuse sensation de bien-être.

C’était fabuleux. A cette époque, je ne connaissais pas encore Thierry Hancisse, et je me souviens surtout de l’ambiance de la pièce, de l’incroyable alchimie entre tous les comédiens, et bien-sûr, de Christian Hecq, Bouzin inimitable, désarticulé, inattendu, pitoyable, et tellement, tellement drôle ! (Christian Hecq est d’ailleurs venu parler au metteur en scène pendant l’entracte, et il était si calme, posé et sérieux que le contraste n’aurait pu être plus saisissant!)

Parlons de la pièce à présent. L’intrigue est finement ciselée, c’est une succession de petites scènes réglée comme du papier à musique, un « texte parsemé d’explosifs destinés à faire rire », un texte qui fait « un emploi étourdissant des mots d’esprit ». Jérôme Deschamps le dit « Il y a chez lui [Feydeau] un art de la construction poussé à la perfection. La mécanique est parfaitement réglée. Le génie de Feydeau réside dans l’art des contrastes, dans la mise en situation des obsessions de chacun, et dans l’entremêlement des situations».

Le ton est donné dès le départ. Monsieur de Bois d’Enghien, qui doit signer son contrat de mariage le soir même, se rend chez sa maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de café concert, afin de rompre une bonne fois pour toutes. Hélas, on s’en doute, la scène de rupture est loin de se passer comme prévu.

Entre la Baronne Duverger, future belle-mère de Bois d’Enghien, qui demande son concours à Lucette pour la fameuse fête de signature du contrat, le Général Irrigua, espagnol fou de Lucette qui s’est mis en tête d’éliminer tous ceux qui se dresseraient entre elle et lui, et le malheureux Bouzin, « Littérateur par vocation ! mais clerc de notaire par état. » qui a écrit une chanson pour Lucette, rien ne va plus.

Je n’en dis pas plus. Les événements s’enchainent à un rythme effréné et chaque réplique fait mouche. La pièce est admirablement rythmée et surtout, merveilleusement drôle.

« Pourquoi désire-t-on une chose ? C’est parce que les autres la désirent… Qu’est-ce qui fait la valeur d’un objet ? C’est l’offre et la demande. Eh bien ! pour M. de Frenel…
- Il y avait beaucoup de demandes ?
- Tu y es ! Alors je me disais : "Voilà comme j’aimerais un mari !", parce qu’un mari comme ça, c’est flatteur ! ça devient comme une espèce de légion d’honneur ! et l’on est doublement fier de l’obtenir : d’abord pour la distinction dont on est l’objet, et puis… parce que ça fait rager les autres !… »

Et pourtant, contrairement aux apparences, Feydeau n’est pas si facile à jouer ! Sans doute, il est facile de monter une pièce de Feydeau qui présente bien : le texte est toujours astucieux et percutant, les personnages suffisamment excentriques, et les quiproquos inévitablement drôles, pour que toute représentation ait de l’allure pourvu qu’on joue un minimum correctement. Mais si on veut que chaque soir la pièce soit parfaitement orchestrée, et toujours amuser ceux qui la connaissent déjà, c’est une autre paire de manches !

Il y a quelques semaines, la représentation du Dindon, mis en scène par Bernard Murat au théâtre Edouard VII est passée sur France 2. Pour tout vous dire, je n’ai regardé que la moitié, tant j’ai trouvé la lourdeur des décors, les maladresses du jeu des comédiens, leurs hurlements et leurs grimaces insupportables… (Il faudrait que je voie le Dindon mis en scène par Lucas Hemleb pour en avoir autre aperçu !).

La mise en scène d’Un Fil à la patte de Jérôme Deschamps est tout le contraire (à noter que je n’ai pas encore vu la mise en scène de Jacques Charon de 1970). La pièce est semblable à une crème glacée, sucrée, colorée, acidulée, légère ! Au texte de Feydeau, aux situations qu’il a écrites, s’ajoutent la précision, l’application et le talent des comédiens français. C’est grâce à eux que chaque phrase fait rire, grâce à eux que la pièce emporte tous les spectateurs dans sa belle mécanique.

Ils parviennent à rendre naturelle la moindre des répliques, ce qui avec Feydeau ne semble pas gagné d’avance, n’entrent jamais dans la caricature, et pourtant conservent merveilleusement bien l’esprit du vaudeville. Ils trouvent un juste milieu, sans tomber dans l’exagération et sans s’éparpiller, mais sans ralentir le rythme ou perdre la gaieté et parfois la férocité de la pièce. Les costumes et les décors sont également sur cette ligne là. Très colorés, très originaux, très beaux, très travaillés… mais ni envahissants, ni de mauvais goût.

Un Fil à la patte est avant tout le travail d’une troupe, aussi je peux difficilement mentionner les comédiens un par un. La pièce a d’ailleurs remporté en 2011 le Molière du théâtre public. Ceci étant, je peux dire en passant que : je n’aimais pas Hervé Pierre qu’à présent j’apprécie (et je reconnais que son rôle est certainement un des plus difficiles à jouer) ; je n’aimais pas Georgia Scalliet qu’à présent j’adore; j’ai toujours admiré l’élégance naturelle et la vivacité de Florence Viala ; j’ai toujours été séduite par la présence de Thierry Hancisse, la maladresse de Serge Bagdassarian, et le ridicule tout anglais de Guillaume Gallienne (récompensé aux Molières pour son double rôle, à qui Thierry Hancisse disputait d’ailleurs la récompense).

Mais évidemment, un comédien est particulièrement remarquable, et je l’ai déjà dit. Christian Hecq est incroyable. Il ajoute au personnage de Bouzin une touche toute personnelle. A peine est-il sur scène que le public est littéralement plié en deux. Il faut voir sa souplesse, ses trémoussements, ses spasmes, son air niais, sa façon de marcher, de se comporter, de parler, de danser même ! Bouzin pourrait être un petit bonhomme totalement insignifiant, médiocre. Christian Hecq en fait un rôle marquant, extrêmement physique, qui lui a valu le Molière du Comédien.

Hier soir, on peut dire que le public était survolté. Les gens ont beaucoup ri (un peu trop à mon goût, puisqu’on perdait tout de même de nombreuses répliques dans le brouhaha !). Et si j’ai vu des applaudissements durer plus longtemps, jamais je n’en ai vu d’aussi enthousiastes ! Des personnes qui sifflent, poussent des cris de joie, lèvent les bras. Les comédiens l’ont bien senti également, puisqu’ils souriaient tous dès le premier salut, visiblement heureux eux-aussi. Cela n’arrive pas toujours, et croyez moi, cela fait énormément plaisir !

«Un Fil à la Patte est une réussite absolue.» écrit Jérôme Deschamps. Autant dire qu’il en est de même pour la mise en scène qu’il propose ! Un Fil à la patte est une petite merveille dont on trouvera peu d’égal. Sa finesse, sa subtilité, sa précision (il suffit de voir la pièce à plusieurs reprises pour comprendre que les pitreries des uns et des autres ne souffrent pas la moindre improvisation !) en font une pièce assez unique. Virtuose. Et rire autant fait un bien fou. Lorsque vous sortez d'Un Fil à la patte, vous vous sentez tout simplement apaisé... heureux.

« Bouzin !
- Le clerc en caleçon !
- Quelle horreur !
- Shocking ! »

dimanche 20 mai 2012

→ UNE HISTOIRE DE LA COMÉDIE FRANÇAISE - COMÉDIE FRANÇAISE

« La Comédie française ? Ah non, très peu pour moi. J’ai horreur du théâtre classique. Les tragédies, je trouve ça d’un ennui… » Rassurez-vous, jamais personne ne m’a encore dit ces choses là en face. Pourtant, je sens parfois que c’est là un préjugé assez répandu, aussi bien chez les personnes qui connaissent peu le théâtre, que chez les autres, qui par snobisme ne veulent aller voir que des pièces avant-gardistes, parce que « La Comédie française ? C’est tellement convenu ! ».

Et quelle erreur ! Hier soir, je suis allée voir au Théâtre éphémère Une histoire de la Comédie Française, mise en scène par Muriel Mayette. Et j’ai eu la preuve que la Comédie Française allait indiscutablement avec son temps. Quelle représentation ! Quelle interprétation ! Une bouffée d'oxygène ! En voyant la qualité de ce spectacle tout simplement explosif, alors que la salle était à moitié vide, et que je n’avais même pas payé ma place, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’écrive un article pour rendre hommage à cette institution formidable et en pleine mutation, et à ses comédiens au talent insurpassable.

Avant toutes choses, j’aimerais dire à ceux qui ont l’intention d’aller voir la pièce qu’il vaut mieux ne pas lire mon article. J’essaye de ne pas tout raconter, mais j’en dirais toujours trop. Le meilleur moyen de profiter du spectacle est d’y aller sans savoir vraiment à quoi s’attendre. La seule chose que vous pouvez faire, c’est réviser vos classiques. Il y a de nombreuses références au théâtre dans cette pièce, et mieux vaut n’être pas un complet néophyte (pour le reste, vous ferez comme moi, vous apprendrez au fur et à mesure !).

Hier soir, donc, j’ai eu la chance d’être invitée à Une histoire de la Comédie Française. Et franchement, je ne m’attendais pas à être autant séduite, ni à autant rire ! Jamais je n’ai autant ri. Ou alors ça fait très longtemps… à moins que ce ne soit pendant Un Fil à la Patte ? Incroyable, n’est-ce-pas, qu’il faille aller à la Comédie Française pour rire à ce point ? En me souvenant de certains passages, je ris encore de très bon coeur !

Une histoire de la Comédie Française aurait pu être un spectacle scolaire et sage que cela ne m’aurait pas surprise. Je pense qu’on peut parler de préjugé (et pourtant, je connais un peu la Comédie Française !). Parce qu’on assiste dans ce spectacle à une destruction, une explosion en règle de tous les clichés que nous avons en tête ! (Et on devine en ceci la philosophie de Muriel Mayette, qui se bat depuis sa nomination pour dépoussiérer l'institution et lui donner une image plus dynamique).

Qui a dit que la Comédie Française était vieux jeu, ennuyeuse, incapable de fantaisie, condamnée à jouer Phèdre ad vitam aeternam ? Allez voir Une histoire de la Comédie Française et vous serez convaincus du contraire ! Cette pièce porte un regard hyper vivant sur le Français. Un regard parfois très critique. Et un regard tellement rempli d’autodérision, d’humour, d’excentricité, et presque d’absurdité, que j’ai même fini par penser à Doctor Who !

La pièce a été écrite pour l’occasion par Christophe Barbier, et le concept est tout simple. Cinq comédiens pour cinq siècles. Chacun à leur tour, ils viennent raconter, à la manière et avec les costumes de leur siècle, la vie de la Comédie Française, le monde du théâtre, la façon de jouer, la personnalité des grands acteurs et auteurs de leur siècle. Seul décor, un rideau écru, au fond de la scène.

Je suis sûre que certains se disent qu’une telle pièce doit être mortelle. Et bien, pas du tout. Très loin de là. D’abord on est loin d’assister à une leçon d’histoire. Ce ne sont pas les événements d’un siècle qui sont racontés, mais c’est l’esprit du siècle qui nous est suggéré. Je me doutais que plus les siècles allaient passer, plus le spectacle allait nous parler. En fin de compte, c’est à peu près ce qui s’est passé, mais avec beaucoup plus de force que ce à quoi je m’attendais !

D’un monologue à l’autre, tout change. La façon de parler, les costumes, la gestuelle, la manière de raconter les différentes personnalités des auteurs et des acteurs, la manière de parler du monde et de la Comédie Française. A chaque entrée d’un comédien, on ne sait pas à quoi s’attendre. Et à mesure que le temps passe, on est emporté dans un tourbillon irrésistible vers le présent. C’est jubilatoire !

Le ton de la pièce change avec les siècles. Le XVIIème siècle est sombre, inquiétant, étriqué. Et Bruno Raffaelli (que décidément, je n’aime pas trop), qui a hérité d’une perruque Louis XIV, est impressionnant, imposant, et raconte, calmement. Au départ, il faut s’accrocher, le XVIIème siècle n’étant pas hyper accessible, ou attrayant. Puis survient le XVIIIème siècle, un brin libertin, malicieux, en la personne de Loïc Corbery. Ce comédien là est cabotin à souhait, tantôt insolent, tantôt fier et sûr de lui. Il ne raconte plus déjà, il dit ce qu’il lui passe par la tête, il bavarde presque…

Et puis on passe aux choses sérieuses. Le XIXème siècle. Mon siècle ! Le passage du XVIII au XIXème siècle est fabuleux. J’étais à demi levée de mon fauteuil, me disant « Oh, mon Dieu, regarde, c’est le XIXème siècle, c’est le XIXème ! ». Elsa Lepoivre est fantastique elle-aussi, et elle passe d’un personnage à l’autre avec une aisance admirable. La comédienne apporte à ce merveilleux siècle, élégance, arrogance, liberté, passion… romantisme évidemment. Sans oublier de petites notes de légèreté, les personnages étant toujours croqués avec humour et bienveillance.

A ce moment là, je pense que tous les spectateurs étaient déjà séduits. C’était déjà un voyage dans le temps passionnant, drôle, prenant, fascinant ! Et quelle habileté dans l’écriture de la pièce ! A mesure que les siècles passent, le français devient plus proche du nôtre, et de temps à autre on croise les vers de nos pièces préférées. C’est intelligent, bien écrit et audacieux.

Alors vient le XXème siècle. Pierre Niney. Hallucinant ! C’est ce mot qui lui convient le mieux. Quelle élégance ! Quelle aisance ! Quelle énergie ! Un tel talent à son âge, c’est époustouflant ! J’ai retrouvé là le sentiment d’euphorie qui a pu me traverser en voyant Thierry Hancisse interpréter Arnolphe. Le XXème siècle nous semble sympathique, abordable, un peu égaré, plein d’autodérision, et surtout, complètement survolté ! En vérité, il semble que la Comédie Française soit complètement passée à côté du XXème siècle... Pierre Niney met tant d’énergie à jouer qu’il emporte définitivement l’adhésion du public. Il court à droite à gauche, rencontre Brecht, Patrice Chéreau, nous fait revivre la première diffusion radiophique d'une pièce de théâtre... Avec le XXème siècle, la pièce devient tellement drôle ! Et Pierre Niney brûle les planches comme jamais ! Son au revoir est si plein d'enthousiasme et d'optimisme que la salle applaudit à tout rompre alors même que la représentation n'est pas terminée. 

Et pour finir, le XXIème siècle. Je ne vous dirai pas ce que nous raconte Elliott Jenicot. Ce serait gâcher bien trop votre surprise. Mais imaginez le délire théâtral le plus improbable, et peut-être en aurez-vous un aperçu ! Il était difficile de passer après Pierre Niney, et pourtant… A nouveau, la pièce est portée encore plus haut. La Comédie Française entre dans le monde moderne, et avec un humour tout à fait bon enfant. Rien de malsain, rien d'irrespectueux, juste la volonté d'aller de l'avant, d'être plus humble et plus ouvert, de prendre sa place dans le monde du théâtre, et plus que jamais de garder sa devise à l'esprit : «  simul et singulis » (fini l'esprit clanique dont a pu parler Thierry Hancisse, les Comédiens Français forment une troupe !).  

La pièce s’achève dans une complète apothéose, faisant exploser dans une incroyable bonne humeur tous les clichés, tous les préjugés qu’on peut avoir. La Comédie Française peut tout jouer, ses comédiens peuvent tout faire. Ne reste qu’un immense amour pour le théâtre dont la Comédie Française propose un renouvellement inédit.

A la fin de la pièce, les spectateurs ont applaudi avec énormément d’énergie, et certains se sont même levés tant l’enthousiasme était grand. Alors, si vous aimez le théâtre, ou la Comédie Française, si vous rêvez de rencontrer Sarah Bernhardt ou de croiser Gérard Philipe, et si vous êtes admiratif du travail des comédiens, n’hésitez plus une seconde et faites moi confiance : courez au Théâtre éphémère !