samedi 6 février 2010

→ AGORA - ALEJANDRO AMENABAR

Agora est un film de Alejandro Amenábar. Il semble difficile de résumer l’intrigue tant elle est riche, en personnages, événements et réflexions. Disons simplement qu’on se situe à Alexandrie, au IVème siècle après JC, juste avant la chute de l’Empire Romain.

Le film raconte comment les chrétiens ont imposé leur foi à Alexandrie, et avec quelle violence le « vieux monde » romain a disparu. Il suit le destin de la philosophe et astronome Hypathie, campée par la merveilleuse Rachel Weisz, dont les découvertes scientifiques sont la raison de vivre.

J’ai été emportée par ce film, prise par l’histoire, fascinée par la richesse des personnages et des interrogations soulevées, happée par l’ambiance de la ville, horrifiée par la cruauté des affrontements entre communautés religieuses, et vraiment admirative de l’indépendance d’Hypathie, qui reste fidèle à elle-même quoi qu’il arrive.

A première vue, Agora peut n’être qu’un péplum parmi d’autres, une fresque historique à la manière de Troie ou d’Alexandre. Mais autant ces deux derniers m’avaient franchement déplu, autant Agora m’a réellement marquée, pour la simple et bonne raison qu’on n’y trouve pas seulement un récit de l’histoire de l’Alexandrie de l’époque -il semble d’ailleurs que la vision de l’histoire qui nous est suggérée soit contestable. Le film est avant tout là pour soulever une myriade d’interrogations très actuelles.

A travers la prise du pouvoir à Alexandrie par les chrétiens, on perçoit de quelle manière la religion peut être au service de la politique. Les « parabalani », ou soldats du Christ, qui sont vêtus de noir et interprètent la Bible au mot près, finissent par faire régner leur ordre, et au nom de l’amour de Dieu et de la foi chrétienne, multiplient les violences, physiques et morales...

A travers l’exemple de ces chrétiens d’Alexandrie, ce sont toutes les formes d’intégrismes religieux qui sont remises en question. Pourquoi cet intégrisme ? Comment lutter contre lui ? Quelle place laisse t’il aux pensées différentes, « païennes » ? Au-delà de l’intégrisme, on aborde la question plus large de la foi : en quoi croyons-nous ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller au nom de ce à quoi nous croyons ? Et quid de nos croyances vis à vis de notre tolérance ? L’exemple d’Hypathie, qui reste fidèle à ses convictions de philosophe semble être la réponse du réalisateur : la jeune femme est tolérante, parce qu’elle est sans cesse obligée de tout remettre en question. Elle croit en un ordre naturel des choses puisque l’univers a un centre, une force créatrice peut être, mais elle refuse de se convertir au christianisme, au nom de ses convictions, contrairement à bon nombre de politiciens.

Mais c’est précisément sur ce point que j’ai été dérangée par le film. Agora semble ne laisser aucun espoir à toute personne adhérant à une religion. Ainsi Hypathie dit-elle à l’évêque Synesius : « Tu ne peux pas remettre les choses en question. » N’est ce pas dire qu’il ne peut y avoir ni ouverture d’esprit ni tolérance dans la foi ? D’autre part, même si nous avons une critique de l’intégrisme religieux en général, l’exemple pris ici est bien celui des chrétiens… dont aucun ne semble répondre à la définition de chrétien, à l’exception peut être de Davus. Pourquoi cette dent contre les chrétiens ? Certes, ils ont évolué depuis, mais je n’ai pu m’empêcher de penser que le film jugeait la religion un peu facilement.

Une petite chose pour nuancer quand même : le fait qu'aucune personne ne ressemble un tant soit peu à un "bon chrétien" est peut être tout simplement un signe que la terrible situation dans laquelle on se situe ne leur laisse même pas de place. En somme, l'intégrisme contre les bons aspects de la religion !

Mais enfin, à part ce petit bémol, et à part quelques maladresses (comme la vision récurrente de la planète Terre, pour montrer que finalement « nous ne sommes que peu de choses dans l’univers et ce serait bien qu’on soit tolérant »), je crois pouvoir dire que j’ai beaucoup aimé Agora. Ne serait ce que parce qu’il s’agit, au-delà de la fresque historique, d’un encouragement à être tolérant, à s’ouvrir l’esprit sans juger. Ainsi en est-il de l’amour d’Oreste et de Davus pour Hypathie. Le contraire de la foi aveugle qui nous conduit à renier ce qui peut nous faire toujours aller de l’avant. Il faut penser à la destruction de tous les manuscrits d’Alexandrie, scène que j’ai trouvée vraiment terrible.

11 commentaires:

  1. Superbe billet ! Bravo Annwvyn ! Tu as su à merveille mettre en avant les forces, mais aussi les faiblesses de ce film. Je plussoie totalement. Et Rachel Weisz est à nouveau incroyable dans ce film. Quelle actrice !

    RépondreSupprimer
  2. Ce film me tente beaucoup. Esthétiquement, il me semble magnifique.

    RépondreSupprimer
  3. @ Artemis : Merci beaucoup ! A ce jour, je n'ai vu Rachel Weisz dans aucun autre film (la Momie mis à part), et j'ai hâte de visionner The Constant Gardener qui traine au pied de mon lit !

    @ Maribel : tu as raison, en fait, je n'ai pas parlé de l'esthétique du film parce qu'un billet, ça devient vite trop long ! Les images sont superbes en effet, et apportent beaucoup au film : poussière, pierres, tissus parfois blancs, parfois noirs, parfois rouges... C'est vraiment magnifique !

    RépondreSupprimer
  4. The Constant gardener est un film haletant et marquant. Si tu écris une critique aussi belle que pour Agora, tu me verras de te supplier pour que je mettes un encart sur mon blog… :P bravo !

    RépondreSupprimer
  5. Merci beaucoup Margot ! Et pas besoin de me supplier, tu as mon accord !
    Pour ce qui est de The Constant Gardener, je sais que c'est un film assez dur. C'est pourquoi je n'ai pas encore pris le temps de le regarder.:D

    RépondreSupprimer
  6. The Constant Gardener est un beau film, je te le conseille ! Je l'avais vu au cinéma. Et Rachel Weisz y est exceptionnelle ... D'ailleurs, je crois qu'elle avait reçu l'Oscar du Meilleur Second Rôle à cette occasion.
    J'attends avec impatience de lire ton billet !

    RépondreSupprimer
  7. Tout le monde me conseille The Constant Gardener... j'ai hâte de le voir ! Je le place en haut de ma pile, c'est promis !

    RépondreSupprimer
  8. Difficile de commenter un tel billet et encore plus un tel film… Nous risquerions de nous lancer dans un débat sans fin, sans pouvoir avancer sérieusement, car limiter par nos connaissances historiques, théologiques, philosophiques… Néanmoins ce débat est exaltant, si bien que les quelques occasions qui m’ont amené confronter mes convictions, mes valeurs, mes réflexions, m’ont toujours laissé le souvenir de grands moments de vie. C’était précisément dans ces débats que j’avais l’impression de parler de choses importantes. Le juste milieu que tu as trouvé en suscitant le débat par tes interrogations me semble tout à fait pertinent, car c’est bien l’un des aspects qui m’a séduit dans Agora : les questions que l’on se pose en sortant de la salle.

    A mon sens, le réalisateur propose son point de vue sur les conflits que nous vivons actuellement. Il utilise le IVe siècle après Jésus-Christ et la philosophe Hypathie pour nous faire réagir sur ce qui peuple nos écrans de télévision, nos journaux ou tout autre support d’information.

    Je n’ai pas vraiment de réponse à apporter aux questions que tu évoques, mais j’aimerais faire quelques observations sur tes remarques. Contrairement à ce que tu écris et ce que le réalisateur pense de son film, j’ai le sentiment que c’est une critique directe faite aux croyants et non à la religion - au sens spirituelle du terme. D’ailleurs, le réalisateur estime avoir montré la science dans toute sa spiritualité et la religion d’un point de vue le plus politique possible. Pour moi, c’est une critique de l’utilisation de la foi qui est faite par les hommes qui se prétendent les interprètes de la parole divine, et du manque d’esprit critique des hommes qui suivent aveuglément leurs pairs.

    Peut être ne s’agit-il que d’une question de vocabulaire, dans la mesure où nous n’entendons pas forcément tous la même chose par religion… Je me trompe peut être en confondant religion et croyance, mais je reste convaincu que la vrai critique va vers l’homme et non vers la foi en ce qui nous dépasse. D’ailleurs, Hypathie a foi en ce qui l’a dépasse puisqu’elle est convaincue que l’univers a un centre. C’est cette foi inexplicable qui la pousse à reconsidérer l’organisation de l’univers et à conjecturer l’existence d’un mouvement elliptique. C’est également la foi qui pousse Davus à vouloir faire acte de pardon. J’ai eu le sentiment que l’on nous montrait la foi comme quelque chose de profondément humain et de moteur dans nos vies.

    Remarque terminale : lorsque Davus doute et remet en cause ce qu’il fait en remarquant qu’il a été pardonné mais qu’il pardonne bien peu, on lui répond que seul Dieu peut pardonner et qu’il n’a pas à avoir la prétention de se mettre à la hauteur de son créateur en pardonnant… Ce passage m’a particulièrement marqué. Que devons nous faire ? Aider notre prochain, le pardonner, et finalement exister au travers du bonheur des autres, n’est ce pas admettre son orgueil démesuré en se considérant bien supérieur à nos congénères ? N’est ce pas souffrir d’un égo disproportionné que de vouloir se faire Dieu ? A moins peut être que l’on soit convaincu que chacun de nous a sa part de divin en lui et que nous ne sommes réellement heureux que lorsque notre entourage l’est, pour la simple raison que nous ne formons qu’un tout unique…

    Je n’ai pas inventé ses thèses, tu le sais sans doute, mais je crois qu’elles font partie de mon quotidien. J’espère prendre un jour le temps de lire davantage sur la question et de trouver un peu plus le sens de ma vie. J’ai l’impression que c’est là que nous touchons ce qu’il y a de plus important et que nous sommes les plus utiles. D’ici là, je devrai bien me contenter de mes « tristes soucis domestiques », et admettre que je ne fais que peu de choses pour autrui.

    Merci Annwyn pour m’avoir permis de m’exprimer ainsi.

    M.M.

    RépondreSupprimer
  9. Bonsoir M !

    Je ne vais pas m'attarder sur tes commentaires du film lui-même... au risque de se lancer dans un débat sans fin, comme tu l'écris.

    Je commente seulement ta remarque terminale.

    J'ai parfois le sentiment que c'est la solution de facilité que de se dire : "Non, je ne suis pas Dieu, de toute manière je ne pourrai pas pardonner ou agir comme lui".

    Mais, est ce vraiment être orgueilleux que de "Aider notre prochain, le pardonner, et finalement exister au travers du bonheur des autres"; est ce vraiment vouloir se faire Dieu ? Et bien je réponds : non ! C'est seulement montrer trop d'orgueil que de croire connaître ce qui est bon pour quelqu'un, que de penser qu'on le sait mieux que la personne elle-même ou que d'agir en fonction du jugement (erroné) qu'on a porté.

    Tu écris : "pour la simple raison que nous ne formons qu’un tout unique…" Ceci me fait terriblement penser à la fin de Terre des Hommes. Tu devrais peut être lire ce livre.

    Tu parles des "tristes soucis domestiques"... mais ce n'est qu'une façon de voir les choses ! Je suis persuadée que si on y met beaucoup de bonne volonté, on peut voir toute notre vie en gris et pleine de soucis... l'inverse est possible aussi ! Tout est une question d'état d'esprit, tu ne peux donc pas parler de "tristes soucis domestiques" sans avoir choisi toi même que ce seraient des soucis ! (je suppose que tu as lu mon commentaire sur Saint Exupéry, tu comprendras donc pourquoi j'écris ceci !)

    Et de rien, M ! Ça me fait très plaisir de pouvoir discuter avec vous tous !

    RépondreSupprimer
  10. Et bien...Pour ma part, je n'ai pas du tout aimé!
    Mes remarques sont tout à fait subjectives, se fondant sur mon propre ressenti.

    Tout d'abord, il est vrai que l'image de la terre...casse vraiment 'l'ambiance' posée, créée par les images.
    Ensuite, je m'attendais (enfin, j'aurais préféré, surtout) à plus de densité dans les relations entre personnages. Leurs rapports sont filmées de façon assez descriptive, je veux dire par là que je n'ai pas su ressentir ce que pouvais éprouver tel ou tel personnage...Or, le film aurait été plus prenant si le réalisateur avait su nous rendre proche des hommes de cette époque si lointaine! Cela aurait été un beau défis relevé!
    Mais là, rien du tout. Pourtant, il y a beaucoup d'ingrédients propres à toucher un large public: les sentiments amoureux, la religion, le pouvoir, la politique, une esquisse de questionnement sur le Cosmos ou je ne sais trop quoi (la terre vu de l'univers...).

    Aussi, je ne sais pas comment me positionner par rapport à l'histoire comptée, et à l'Histoire. Le film semble assez peu objectif quant à l'Histoire, notament dans son rapport aux premiers chrétiens. Par exemple: ils sont vêtus de noir, mettent à sac la bibliothèque, blessent le gouverneur de la ville de façon fort peu courageuse voire lâche, se convertissent par intérêt personnel.
    J'ai donc pensé, en voyant le film, à m'insurger (intérieurement) contre cette image négative. Mais loin d'avoir les connaissances historiques propres à me le permettre, c'est en vain que j'ai voulu me rebeller contre une image si peu flatteuse des chrétiens.

    Enfin, je n'ai pas toruvé les personnages attachants. Certes, la femme (personnage principal) a le mérite d'être sans cesse en chemin, en train de se questionner, de chercher. Mais entre le gouverneur de la ville qui se convertit par intérêt et montre peu d'habileté face à la situation, et l'évêque du lieu qui exploite (c'est ainsi qu'il est montré) la religion afin d'asseoir sa domination personnelle...Peu d'intimité se créé entre le spectateur, et les protagonistes.

    RépondreSupprimer
  11. Deux petites choses pour commenter ce que tu écris.

    La première c'est que je ne comprends pas en quoi un film descriptif empêcherait le spectateur d'être touché par les personnages. Je pense qu'il s'agit plutôt d'une question de ressenti, qui veut qu'on soit plus ou moins touchés par un film.

    La deuxième chose tient aux chrétiens. Il semblerait que les chrétiens de l'époque aient réellement été comme les "parabalani" du film Agora. Mais quelle importance ? Il s'agit de s'ouvrir l'esprit : chaque peuple a commis des erreurs, et chaque peuple a évolué. L'essentiel est de savoir que les chrétiens ont évolué et ne sont plus ces extrémistes vêtus de noir.
    En outre, si les chrétiens sont bien les héros du film, ils ne sont qu'un prétexte pour critiquer toutes les formes d'intégrisme. Ce qui est critiqué dans Agora, c'est la manière dont les hommes peuvent détourner toutes les religions au profit du pouvoir, et transformer leur message de paix en message de haine. Ce n'est pas parce qu'on croit en quelque chose qu'on doit nécessairement rejeter les autres qui ne croient pas, ou qui croient différemment.

    RépondreSupprimer

Écrire un commentaire