vendredi 12 février 2010

→ TERRE DES HOMMES - SAINT EXUPERY

Je tiens d’abord à dire à mon amie A, que ce livre a énormément marquée, combien je suis désolée. Je n’ai pas trouvé dans Terre des hommes la même leçon de vie, et l’avis que je donne ici est loin d’être aussi enthousiaste que le sien. J’espère que mes lecteurs me pardonneront d’être trop catégorique, mais j’évoque ici des sujets qui me tiennent tout particulièrement à cœur.

Ce livre a été ma première rencontre avec Saint Exupéry. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, je l’ai trouvé franchement fier de lui, bien trop sûr de son jugement ; trouvant la force de vivre dans sa certitude d’être un Homme et d’être le sauveur des siens, plutôt que dans la simplicité de son amour pour eux ; trouvant naturel de ne pas montrer de compassion pour celui qui cède à la tentation de mettre fin à ses jours ; employant un ton paternel malvenu envers tous les hommes. En un mot, j’ai trouvé ce célèbre Saint Exupéry orgueilleux. J’avais déjà eu cette impression quand j’avais vu le film Les Ailes du courage au Futuroscope. Et Saint Exupéry le dit lui-même, la modestie est « une qualité médiocre ».

Terre des hommes raconte les réflexions de Saint Exupéry sur les hommes. Lui qui a tant voyagé, qui les a observés de là-haut, avec tout son recul et son expérience, se donne le droit de les juger. Mais de quel droit peut-il éprouver de la pitié pour tous les gens qui ont une vie "petite" ? Cette vie est "petite", il en conclut qu’elle est matérialiste et inutile. Mais avons-nous besoin de sa pitié, nous qui prenons le train tous les jours, l’air endormi, et les pensées invariablement « tournées vers nos tristes soucis domestiques » ?

Après avoir lu ce roman, j’ai plus que jamais le sentiment que deux conceptions de la vie s’opposent. La première est celle de penser que si on s’attache aux "petits" problèmes, on est inévitablement prisonnier de notre petite vie étriquée. Pour trouver la force de vivre, il faut alors avoir foi en l’Homme, relativiser la petitesse de notre existence vis-à-vis de la beauté de la Création. La solution est de construire une autre vie, qui sera enrichissante, loin de notre réalité bassement matérielle. Mais n’est-ce pas finalement fuir ou nier volontairement la réalité ? J’aime tellement plus la seconde conception ! Plus pragmatique et beaucoup moins défaitiste ! Il s’agit de choisir d’avoir les pieds sur terre, de penser qu’il n’y a pas de "petits" problèmes, d’assumer que les « soucis domestiques » sont biens réels, de les surmonter, et de faire d’une vie minuscule quelque chose de dynamique, d’actif et finalement de grand.

A travers sa pitié pour la petitesse de notre vie bourgeoise, j’ai parfois l’impression que Saint Exupéry a choisi la facilité : n’est-il pas plus difficile d’assumer ses devoirs quotidiens avec courage, que de choisir d’œuvrer pour de grandes causes … alors que ce sont les nôtres, tout près de nous, qui ont besoin de nous ?

Dans une très belle scène du livre, Saint Exupéry évoque une famille heureuse, une maison fascinante, oasis au milieu du désert, où vit une famille extraordinaire, toute simple et si "vraie". La scène est formidable … mais il ne faudrait pas oublier que chacun de nous peut construire la même chose s’il en a la volonté ! Il ne tient qu’à Saint Exupéry de trouver le même bonheur et la même richesse chez ses « petits bourgeois de Toulouse » !

La compassion de Saint Exupéry ne m’a parue être que la conséquence de son idéalisme et d’une certaine forme d’égoïsme. Les hommes ont davantage besoin de confiance que de pitié.

Ainsi, je n’ai pas compris la leçon donnée par Saint Exupéry comme une leçon de courage. Pour moi, le courage se trouve bien plus dans North and South d’Elizabeth Gaskell, où l’héroïne fait bravement face à la réalité. Saint Exupéry mentionne l’expérience de son ami Guillaumet, qui survit dans les Andes par la force de sa volonté. Mais autant l’auteur met la Vie et la Création au premier plan, autant le film Les Ailes du courage mettait la famille de Guillaumet en avant… Réussir sa vie n’est ce pas faire avec la réalité, quelle qu’elle soit ?

Bien … j’ai décrit de façon très claire mon agacement pour les "leçons" de Saint Exupéry. Mais je ne serais pas honnête si je me cantonnais à cet avis négatif. Car en dépit de tout cela, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire Terre des hommes. J’ai trouvé l’écriture de Saint Exupéry merveilleuse. Son récit est un vrai bonheur pour celui qui aime la langue française. Les phrases sont si fluides, si légères, si douces à l’oreille ! J’ai eu le sentiment de partir en voyage, de découvrir de nouveaux espaces. Le monde ressort dans toute sa beauté, toute sa poésie, on se laisse tout simplement bercer par les mots. J’ai cru retrouver l’atmosphère de The English Patient ou de Lawrence d’Arabie. Le ronronnement de l’avion dans le ciel, le silence et la majesté du désert impitoyable, les souvenirs qui reviennent doucement à notre esprit, les nuits froides et remplies de mystère, l’homme seul au milieu du monde… Voici un très bel extrait qui parle de lui-même.

« Je respirais d’une pièce à l’autre, répandue comme un encens, cette odeur de vieille bibliothèque qui vaut tous les parfums du monde. Et surtout j’aimais le transport des lampes. De vraies lampes lourdes que l’on charriait d’une pièce à l’autre, comme aux temps les plus profonds de mon enfance, et qui remuaient aux murs des ombres merveilleuses. On soulevait en elles des bouquets de lumière et de palmes noires. Puis, une fois les lampes bien mises en place, s’immobilisaient les plages de clarté, et ces vastes réserves de nuit tout autour, où craquaient les bois.»

3 commentaires:

  1. Il est heureux, et fascinant, de découvrir à quel point de simples mots alignés sur des ages blanches peuvent produire en deux personnes des effets différents.

    Quelle découverte, quelles réflexions que ce livre !
    Terre des hommes est le deuxième livre qui m’a profondément, durablement marquée. Bien plus que cela, il m’a permis de grandir. J’y ai lu des idées, des réactions, des aspirations et sentiments que je portais en germes. Et les voir, les lire, précisément formulées par l’auteur m’a « chamboulée ». Depuis, je ne cesse de penser à cet appel à la vie : « fais de ta vie un rêve, et de ce rêve la réalité ».

    Certes, Saint-Exupéry parle des autres, et montre son mépris pour certaines attitudes. Des bourgeois. Des personnes qui, peut-être, avaient envie de devenir astronaute, écrivan, musicien…et qui ont décidé de prendre ce que j’appellerais « l’autoroute ». Par facilité, par inconscience, par attrait de l’argent…
    D’où cette fin sublime, où Saint-Exupéry conduit le lecteur à l’apothéose, en s’écriant que ce qui l’inquiète, c’est Mozart, en chacun de nous, assassiné. C’est le talent, l’envie, l’espérance, l’exigence, que l’on met de côté, que l’on oublie, que l’on fait taire, afin de « rentrer dans le moule » où la société nous conduit.

    Mais Saint-Exupéry n’exprime pas les différences qui les opposent à des humains afin de se donner en exemple. Il ne se montre pas en sauveur, la caricature entrevue par le commentaire me semble tellement peu appropriée. Il n’y a pas de quoi blâmer un homme qui exprime sa vision, lorsque sa propre expérience lui permet de la développer avec certitude. Saint-Exupéry parle de ce qu’il a vécu, de ce qu’il sait, de ce qu’il connaît. Saint-Exupéry n’est pas resté dans un avion, qui s’apparenterait à une tour d’ivoire. Saint-Exupéry a vécu le désert, la solitude, l’espérance etc.
    Bien sûr, il dérange, parfois. Voire, il déplaît.

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  2. La suite de mon commentaire:

    Lorsqu’il s’adresse au « petit bourgeois de Toulouse », il ne condamne pas cet homme. Bien plus que cela, il veut le secouer, lui ouvrir les yeux. Lui montrer que la voie dans laquelle il deviendra bien plus riche qu’il n’a jamais pu l’espérer en faisant ses comptes n’est peut-être pas celle dans laquelle il reste enfermé. Lui montrer que le but de la vie humaine est de découvrir l’autre, d’aller à sa rencontre, de lui ouvrir son cœur, sans rien en attendre. Comprendre, voir, vivre, transmettre, découvrir.
    Ne pas se reposer sur ses acquis, sur le passé ; mais construire, entreprendre, tenter, essayer.
    « Force-les à bâtir ensemble une tour et tu les changeras en frères. Mais si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du grain » (Citadelle)
    Montrer, par exemple, à une personne qui choisit d’étudier la comptabilité, la gestion, le droit, ou que sais-je encore, mais qui porte en elle l’envie d’être écrivain, reporter, journaliste (ou bien autre chose !), qu’il n’appartient qu’à elle de se donner les moyens de vivre son rêve. Ce n’est pas être utopique. C’est être réaliste : nous n’avons qu’une vie, ce passage ne nous est permis qu’une fois, et le temps passe tellement vite (voire, peut s’arrêter de façon bien brutale !) qu’il nous faut vivre pleinement. Et ne pas nous dissoudre dans des considérations purement utilitaires, vénales, étriquées et disparates, fades.
    C’est idéaliste, exigeant, mais comme J.Brel disait, « la qualité d’un homme se calcule à sa démesure : tentez, essayez, échouez même, ce sera votre réussite ».

    Et ce n’est pas en se concentrant « sur des grandes causes » comme cela a été dit dans le commentaire, que l’auteur croit que chacun trouvera sa place véritable. Le paysan (je ne porte aucun jugement sur ce métier que j’estime, simplement, il est plus fréquent qu’aventurier !) aussi bien que le médecin, que le grand voyageur, peuvent le faire. Et il le dit.
    Saint-Exupéry ne refuse pas d’affronter la réalité. Mais il a choisi de faire de sa vie un rêve, il a voulu vivre ses idéaux. La réalité (un bien grand mot !) ne lui a pas toujours convenu, alors il est parti trouver SA réalité, qui fait partie de LA réalité. Il a étouffé dans les villes, alors il est parti dans le désert. Il a compris qu’aujourd’hui, les hommes connaissent le prix de tout, mais la valeur de rien, alors il a connu le manque, la précarité, pour comprendre la valeur des choses. Il s’est lassé de la mondanité, alors des nomades l’ont accueilli comme un frère.
    Ainsi qu’il le dit dans Citadelle, l’esclavage, ce n’est pas uniquement la domination de tous par un seul. Le « grand » esclavage « se montre lorsque le troupeau écrase l »homme » (Citadelle). Alors il refuse, et a le courage de vivre ce qu’il pense, pour après l’écrire dans ses livres, et le transmettre ,tenter de le partager avec les autres.

    « l’exoérience nous montre qu’aimer ce n’est point nous rgearder l’un l’autre mais regarder ensemble dans la même direction. (…) Quand nous prendrons conscience de notre rôle, MEME LE PLUS EFFACE, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paux, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort (...)Et il ne s’agit pas de vivre dangereusement. Cette formule est prétentieuse. Les toréadors ne me plaisent guère. Ce n’est pas le danfer que j’aime. Je sais ce que j’aime. C’est la vie ».

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  3. Hum... Je réponds donc à ton commentaire Alexia, mais je crains que ce ne soit le début d'une discussion interminable sur notre façon de voir les choses.

    Tu écris : « Bien plus que cela, il veut le secouer, lui ouvrir les yeux. »
    C’est là une de mes principales critiques : d’où St Ex sort il que cet homme vit dans une vie étriquée ? D’où sort-il qu’il faut secouer cet homme ? N’est ce pas cliché de penser qu’un bureaucrate matinal est nécessairement moins épanoui ou moins riche qu’un agriculteur/aviateur/autres… ? Et si ce même bureaucrate travaillait dur pour nourrir sa famille, ou pour seulement rester près d’elle ? Ne serait ce pas plutôt un signe de volonté et de courage, et non pas le choix de la facilité ?

    « Lui montrer que le but de la vie humaine est de découvrir l’autre, d’aller à sa rencontre, de lui ouvrir son cœur, sans rien en attendre. »
    « La réalité (un bien grand mot !) ne lui a pas toujours convenu, alors il est parti trouver SA réalité, qui fait partie de LA réalité. »
    Voici deux phrases qui sont tout à fait St Ex et qui me font sourire parce qu’elles sont contradictoires : c’est bien gentil d’aller se perdre dans le désert en laissant bien tranquillement sa femme à la maison. C’est plutôt tranquille en vérité de laisser les « tristes soucis domestiques » aux autres. N’est ce pas d’une complète hypocrisie de dire que c’est l’autre qui est important et de partir égoïstement vivre ses propres rêves ?

    Alors je dirai une chose : c’est là qu’entre la notion de devoir. Si je fais tel ou tel choix dans ma propre vie, et je sais bien que tout est une question de volonté, c’est parce que je pèse d’une part mes rêves, d’autre part mon devoir envers les miens. Il ne s’agit pas de m’enfermer dans une routine ou d’assassiner Mozart, mais seulement de trouver un équilibre. Une chose à comprendre, c’est que l’épanouissement ne vient pas tout seul, comme une vocation. Ça c’est idéaliste. L’épanouissement vient là où on le décide.

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