dimanche 20 mai 2012

→ UNE HISTOIRE DE LA COMÉDIE FRANÇAISE - COMÉDIE FRANÇAISE

« La Comédie française ? Ah non, très peu pour moi. J’ai horreur du théâtre classique. Les tragédies, je trouve ça d’un ennui… » Rassurez-vous, jamais personne ne m’a encore dit ces choses là en face. Pourtant, je sens parfois que c’est là un préjugé assez répandu, aussi bien chez les personnes qui connaissent peu le théâtre, que chez les autres, qui par snobisme ne veulent aller voir que des pièces avant-gardistes, parce que « La Comédie française ? C’est tellement convenu ! ».

Et quelle erreur ! Hier soir, je suis allée voir au Théâtre éphémère Une histoire de la Comédie Française, mise en scène par Muriel Mayette. Et j’ai eu la preuve que la Comédie Française allait indiscutablement avec son temps. Quelle représentation ! Quelle interprétation ! Une bouffée d'oxygène ! En voyant la qualité de ce spectacle tout simplement explosif, alors que la salle était à moitié vide, et que je n’avais même pas payé ma place, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’écrive un article pour rendre hommage à cette institution formidable et en pleine mutation, et à ses comédiens au talent insurpassable.

Avant toutes choses, j’aimerais dire à ceux qui ont l’intention d’aller voir la pièce qu’il vaut mieux ne pas lire mon article. J’essaye de ne pas tout raconter, mais j’en dirais toujours trop. Le meilleur moyen de profiter du spectacle est d’y aller sans savoir vraiment à quoi s’attendre. La seule chose que vous pouvez faire, c’est réviser vos classiques. Il y a de nombreuses références au théâtre dans cette pièce, et mieux vaut n’être pas un complet néophyte (pour le reste, vous ferez comme moi, vous apprendrez au fur et à mesure !).

Hier soir, donc, j’ai eu la chance d’être invitée à Une histoire de la Comédie Française. Et franchement, je ne m’attendais pas à être autant séduite, ni à autant rire ! Jamais je n’ai autant ri. Ou alors ça fait très longtemps… à moins que ce ne soit pendant Un Fil à la Patte ? Incroyable, n’est-ce-pas, qu’il faille aller à la Comédie Française pour rire à ce point ? En me souvenant de certains passages, je ris encore de très bon coeur !

Une histoire de la Comédie Française aurait pu être un spectacle scolaire et sage que cela ne m’aurait pas surprise. Je pense qu’on peut parler de préjugé (et pourtant, je connais un peu la Comédie Française !). Parce qu’on assiste dans ce spectacle à une destruction, une explosion en règle de tous les clichés que nous avons en tête ! (Et on devine en ceci la philosophie de Muriel Mayette, qui se bat depuis sa nomination pour dépoussiérer l'institution et lui donner une image plus dynamique).

Qui a dit que la Comédie Française était vieux jeu, ennuyeuse, incapable de fantaisie, condamnée à jouer Phèdre ad vitam aeternam ? Allez voir Une histoire de la Comédie Française et vous serez convaincus du contraire ! Cette pièce porte un regard hyper vivant sur le Français. Un regard parfois très critique. Et un regard tellement rempli d’autodérision, d’humour, d’excentricité, et presque d’absurdité, que j’ai même fini par penser à Doctor Who !

La pièce a été écrite pour l’occasion par Christophe Barbier, et le concept est tout simple. Cinq comédiens pour cinq siècles. Chacun à leur tour, ils viennent raconter, à la manière et avec les costumes de leur siècle, la vie de la Comédie Française, le monde du théâtre, la façon de jouer, la personnalité des grands acteurs et auteurs de leur siècle. Seul décor, un rideau écru, au fond de la scène.

Je suis sûre que certains se disent qu’une telle pièce doit être mortelle. Et bien, pas du tout. Très loin de là. D’abord on est loin d’assister à une leçon d’histoire. Ce ne sont pas les événements d’un siècle qui sont racontés, mais c’est l’esprit du siècle qui nous est suggéré. Je me doutais que plus les siècles allaient passer, plus le spectacle allait nous parler. En fin de compte, c’est à peu près ce qui s’est passé, mais avec beaucoup plus de force que ce à quoi je m’attendais !

D’un monologue à l’autre, tout change. La façon de parler, les costumes, la gestuelle, la manière de raconter les différentes personnalités des auteurs et des acteurs, la manière de parler du monde et de la Comédie Française. A chaque entrée d’un comédien, on ne sait pas à quoi s’attendre. Et à mesure que le temps passe, on est emporté dans un tourbillon irrésistible vers le présent. C’est jubilatoire !

Le ton de la pièce change avec les siècles. Le XVIIème siècle est sombre, inquiétant, étriqué. Et Bruno Raffaelli (que décidément, je n’aime pas trop), qui a hérité d’une perruque Louis XIV, est impressionnant, imposant, et raconte, calmement. Au départ, il faut s’accrocher, le XVIIème siècle n’étant pas hyper accessible, ou attrayant. Puis survient le XVIIIème siècle, un brin libertin, malicieux, en la personne de Loïc Corbery. Ce comédien là est cabotin à souhait, tantôt insolent, tantôt fier et sûr de lui. Il ne raconte plus déjà, il dit ce qu’il lui passe par la tête, il bavarde presque…

Et puis on passe aux choses sérieuses. Le XIXème siècle. Mon siècle ! Le passage du XVIII au XIXème siècle est fabuleux. J’étais à demi levée de mon fauteuil, me disant « Oh, mon Dieu, regarde, c’est le XIXème siècle, c’est le XIXème ! ». Elsa Lepoivre est fantastique elle-aussi, et elle passe d’un personnage à l’autre avec une aisance admirable. La comédienne apporte à ce merveilleux siècle, élégance, arrogance, liberté, passion… romantisme évidemment. Sans oublier de petites notes de légèreté, les personnages étant toujours croqués avec humour et bienveillance.

A ce moment là, je pense que tous les spectateurs étaient déjà séduits. C’était déjà un voyage dans le temps passionnant, drôle, prenant, fascinant ! Et quelle habileté dans l’écriture de la pièce ! A mesure que les siècles passent, le français devient plus proche du nôtre, et de temps à autre on croise les vers de nos pièces préférées. C’est intelligent, bien écrit et audacieux.

Alors vient le XXème siècle. Pierre Niney. Hallucinant ! C’est ce mot qui lui convient le mieux. Quelle élégance ! Quelle aisance ! Quelle énergie ! Un tel talent à son âge, c’est époustouflant ! J’ai retrouvé là le sentiment d’euphorie qui a pu me traverser en voyant Thierry Hancisse interpréter Arnolphe. Le XXème siècle nous semble sympathique, abordable, un peu égaré, plein d’autodérision, et surtout, complètement survolté ! En vérité, il semble que la Comédie Française soit complètement passée à côté du XXème siècle... Pierre Niney met tant d’énergie à jouer qu’il emporte définitivement l’adhésion du public. Il court à droite à gauche, rencontre Brecht, Patrice Chéreau, nous fait revivre la première diffusion radiophique d'une pièce de théâtre... Avec le XXème siècle, la pièce devient tellement drôle ! Et Pierre Niney brûle les planches comme jamais ! Son au revoir est si plein d'enthousiasme et d'optimisme que la salle applaudit à tout rompre alors même que la représentation n'est pas terminée. 

Et pour finir, le XXIème siècle. Je ne vous dirai pas ce que nous raconte Elliott Jenicot. Ce serait gâcher bien trop votre surprise. Mais imaginez le délire théâtral le plus improbable, et peut-être en aurez-vous un aperçu ! Il était difficile de passer après Pierre Niney, et pourtant… A nouveau, la pièce est portée encore plus haut. La Comédie Française entre dans le monde moderne, et avec un humour tout à fait bon enfant. Rien de malsain, rien d'irrespectueux, juste la volonté d'aller de l'avant, d'être plus humble et plus ouvert, de prendre sa place dans le monde du théâtre, et plus que jamais de garder sa devise à l'esprit : «  simul et singulis » (fini l'esprit clanique dont a pu parler Thierry Hancisse, les Comédiens Français forment une troupe !).  

La pièce s’achève dans une complète apothéose, faisant exploser dans une incroyable bonne humeur tous les clichés, tous les préjugés qu’on peut avoir. La Comédie Française peut tout jouer, ses comédiens peuvent tout faire. Ne reste qu’un immense amour pour le théâtre dont la Comédie Française propose un renouvellement inédit.

A la fin de la pièce, les spectateurs ont applaudi avec énormément d’énergie, et certains se sont même levés tant l’enthousiasme était grand. Alors, si vous aimez le théâtre, ou la Comédie Française, si vous rêvez de rencontrer Sarah Bernhardt ou de croiser Gérard Philipe, et si vous êtes admiratif du travail des comédiens, n’hésitez plus une seconde et faites moi confiance : courez au Théâtre éphémère !

7 commentaires:

  1. Ce n'est pas très gentil d'écrire un article pareil, parce que moi, je ne pourrai pas la voir... =(
    Par contre d'après ce que j'ai pu en lire la dernière partie ne me convainc pas beaucoup...

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  2. Oh Minyu, je sais bien... :( Et à chaque fois je pense à toi. Je me dis que je serais bien contente d'avoir ton avis, et je suis désolée que tu ne puisses pas voir la pièce. Alors venge toi en pensant que je n'aurais peut être jamais l'occasion de voir Robin Renucci dans Ruy Blas !

    Sinon, qu'est ce qui t'a gêné dans la dernière partie ? Oh la la, j'espère toujours être convaincante quand j'écris un article... :(
    Dans toute cette pièce, il y a un immense respect du théâtre du début à la fin. Pierre Niney met l'accent sur les faiblesses de la Comédie française au XXème siècle, et explique qu'elle est passée à côté des grands auteurs (Ibsen, Brecht), des grands metteurs en scène (Mnouchkine, Chéreau) et de certains comédiens (Gérard Philipe) et que finalement elle n'a joué que du théâtre classique de manière classique, sans se dépasser, en se reposant sur ses lauriers, sans vouloir apporter plus au théâtre.
    Et c'est en ceci, que la vie qu'apporte Pierre Niney à son texte fait éclater tout le talent de la nouvelle génération. Avec humour, Pierre Niney et Eliott Jénicot montrent qu'on peut rester fidèle à nos grands auteurs (le fil conducteur de l'histoire est Phèdre, qu'on voit jouer à chaque siècle) mais qu'il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, et qu'il ne faut pas hésiter à être un peu moins pédant (pas dans le sens où on fait un théâtre "grand public" mais dans le sens où il faut être plus humble, plus sincère). Alors, après, peut être que voir Phèdre jouée sur mars en martien t'aurait gênée (là je le concède, ils sont allés vraiment loin). Mais c'est fait avec tellement d'autodérision que tout ce qui ressort est un immense amour du théâtre, et non pas une farce grossière. Juste un encouragement à l'ouverture d'esprit, dans le respect des grands textes et des grands auteurs.
    Mais vraiment, dis moi Minyu ce qui t'a gênée. :) Peut-être est ce que cette pièce t'a semblée un peu impertinente par rapport à l'idéal du Français ?

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  3. Alors voilà, déjà depuis le début, je n'étais pas tout à fait satisfaite de l'impression rendue par mon billet. J'ai donc rajouté par ci par là quelques mots ou phrases, afin de me rapprocher le plus possible de la manière dont j'ai ressenti la représentation. Et j'ai essayé d'être un peu plus explicite, peut-être que ça te parlera plus, Minyu ?

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  4. Ne t'inquiète pas, ton article n'y est pour rien, au contraire, tu ne dis que des choses positives sur la dernière partie, et tu ne dévoiles rien ! ;) C'est juste que, bon, des tournées sur Mars, Phèdre en Martien, ce genre de choses comme j'ai pu en lire... C'est peut-être bon des films de science-fiction, mais au théâtre et surtout en ce qui concerne le Français, je ne suis pas persuadée que ce soit la meilleure idée qui soit...

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  5. Oui, je comprends très bien ce que tu dis ! Et il faut en convenir, c'est tout à fait normal d'avoir des appréhensions... on parle quand même de la Comédie Française ! Mais je te rassure, le coup de Mars, c'est vraiment le plus gros délire de toute la pièce, et s'il a séduit le public, c'est surtout qu'il est très bien amené ! Je pense qu'il peut plaire aux connaisseurs comme au grand public. Mais après, il est tout à fait normal (et plus intéressant !) qu'on ait des ressentis et des attentes différentes ! J'espère que tu auras un jour l'occasion de voir cette pièce.
    Merci Minyu d'être venue commenter cet article ! :D

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  6. Exact, tellement exact qu'ayant été invitée, j'ai été tellement charmée par l'intelligence de la narration et le talent des acteurs, que j'y suis retournée, avec ma fille (19 ans) et une amie : séduites, enthousiastes elles aussi. Et j'ai essayé d'y envoyer un tas de gens, mais c'est fou le nb de gens qui résistent au théâtre, s'attendant au pire. Le titre, d'ailleurs, est assez rébarbatif, j'attendais un encensement pompeux et suffisant de la grrrrande, l'immmmense cultuuuure française et Comédie du même nom. J'attendais l'enfoncement des portes ouvertes, alors que tout n'est que grâce et légèreté, quoique, le 21ème siècle est peut-être un peu gros, mais tellement drôle. Après tout, bien dans l'esprit de la farce. Il n'y a pas plus belle manière 1) de réviser ses classiques (et surtout tout ce qu'on ne savait pas) 2) d'avoir un tel bonheur du jeu et des acteurs.

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    1. Je suis bien d'accord avec vous ! J'y suis aussi retournée (hier soir), et j'ai essayé d'y envoyer d'autres personnes... sans succès en général. Il faut croire que le théâtre fait peur (un peu à la manière de l'opéra), et c'est bien dommage.

      Ceci étant, je pense que je ne partais pas avec autant d'appréhension que vous. J'attendais quelque chose de sérieux, certes, mais ni pompeux, ni plein de suffisance ou à la gloire du Français. Le fait est qu'Une histoire de la Comédie française est tout le contraire finalement : énormément d'autodérision de la part de la troupe, des comédiens, du théâtre lui-même.

      Et pour ma part, j'ai adoré le XXème siècle. Connaissant finalement assez peu tous les grands metteurs en scène, ou le rôle joué par la Comédie française pendant ce siècle, j'avais peu d'outils pour juger, et je me suis contentée d'être extrèmement surprise du jugement profondément sévère porté sur l'institution à cette période là.

      Enfin, il est certain que derrière un titre assez scolaire se cache un spectacle réellement passionnant et drôle, et je suis bien contente de trouver des personnes qui partagent mon avis. Hier encore, les spectateurs (peu nombreux) étaient émerveillés.

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