dimanche 1 juillet 2012

→ UN FIL A LA PATTE - COMÉDIE FRANÇAISE

« Oh ! pardone ! yo le sais ! yo l’ai pas tuchurs été riche. Avant que yo le sois entré dans l’armée… comme chénéral ! yo l’avais pas de l’archent, quand yo l’étais professor modique et que yo l’ai dû pour vivre aller dans les familles… où yo donnais des léçouns de francess.
- De français ? Vous le parliez donc ?
- Yo vais vous dire ; dans moun pays, yo le parlais bienn ; ici, yo no sais porqué, yo le parlé mal. »

Hier soir, j’ai vu pour la troisième fois Un Fil à la patte à la Comédie Française. Je connais la pièce presque par cœur à présent (notamment parce qu’elle a été diffusée sur France 2, et que je l’ai regardée à plusieurs reprises depuis). Et pourtant, je ris toujours autant. Les contorsions de Christian Hecq sont toujours aussi formidables, et chaque plaisanterie est dite avec tant de naturel et de légèreté qu’on ne peut s’en lasser!

Vous avez forcément entendu parler d’Un Fil à la patte. Il y a eu tant de bruit autour de la pièce ! L’année dernière, lors de l’ouverture sur internet des réservations, le site de la Comédie française s’est trouvé saturé… en deux-trois jours, toutes les places de la salle Richelieu ont été vendues. Ce succès n’a pas été démenti par la suite, et le public est toujours aussi enthousiaste. La pièce a été diffusée sur France 2, puis jouée à deux reprises cette saison, et elle sera reprise pour la troisième fois consécutive l’an prochain.

Pourtant, j’ai découvert Un Fil à la patte presque par hasard, alors que personne n’en avait encore entendu parler. J’avais été invitée à l’avant-avant-dernière répétition de la pièce (soit la répétition précédant celle qu’on appelle la "couturière", elle-même précédant la "générale"). J’ai conscience de la chance incroyable que j’ai eue. Pourtant, sur le moment, je ne me rendais pas compte que je vivais un moment exceptionnel, et qui a sans doute peu de chances de se reproduire un jour.

Nous étions peu nombreux dans la salle Richelieu. Seulement deux classes de lycéens, deux-trois autres personnes, ma maman et moi. Les autres personnes présentes étaient là pour travailler. Juste derrière nous, le metteur en scène Jérôme Deschamps procédait aux derniers ajustements, à sa table de travail posée sur le dossier des fauteuils. Devant nous, côté cour, une personne avec une petite lampe et le texte sous les yeux, prête à vérifier que les comédiens allaient respecter à la lettre le texte de Feydeau.

Je m’attendais plutôt une vraie répétition (je veux dire des passages laissés de côté, d’autres répétés plusieurs fois, des comédiens qui s’interrompent… comme cela avait été le cas quand j’avais entr’aperçu une répétition de Fantasio peu de temps avant)… mais on ne peut pas dire que ça a été le cas ! En vérité, nous avons assisté à la pièce toute entière, aussi parfaitement interprétée que d’habitude, avec les mêmes costumes aujourd’hui familiers et les mêmes décors. Nous avons été le premier public à assister à Un Fil à la patte.

A la fin de la représentation, la plupart des comédiens étaient déjà rhabillés, et ils n’ont salué qu’à une reprise, tendus, dans l’attente de la première qui allait enfin leur faire savoir quel serait l’accueil du public.

Pourtant, avec le petit public que nous formions, les comédiens ont bien eu un premier indice que la pièce allait avoir un grand succès ! Comme j’ai pu le dire dans mon dernier billet, j’ai rarement autant ri ! Parce que je ne connaissais pas la pièce, même si j’étais familière de Feydeau (notamment de La Puce à l’oreille), et en raison de l’ambiance particulière de cette représentation là, j’ai été écroulée de rire du début à la fin. Je suis sortie du théâtre avec une merveilleuse sensation de bien-être.

C’était fabuleux. A cette époque, je ne connaissais pas encore Thierry Hancisse, et je me souviens surtout de l’ambiance de la pièce, de l’incroyable alchimie entre tous les comédiens, et bien-sûr, de Christian Hecq, Bouzin inimitable, désarticulé, inattendu, pitoyable, et tellement, tellement drôle ! (Christian Hecq est d’ailleurs venu parler au metteur en scène pendant l’entracte, et il était si calme, posé et sérieux que le contraste n’aurait pu être plus saisissant!)

Parlons de la pièce à présent. L’intrigue est finement ciselée, c’est une succession de petites scènes réglée comme du papier à musique, un « texte parsemé d’explosifs destinés à faire rire », un texte qui fait « un emploi étourdissant des mots d’esprit ». Jérôme Deschamps le dit « Il y a chez lui [Feydeau] un art de la construction poussé à la perfection. La mécanique est parfaitement réglée. Le génie de Feydeau réside dans l’art des contrastes, dans la mise en situation des obsessions de chacun, et dans l’entremêlement des situations».

Le ton est donné dès le départ. Monsieur de Bois d’Enghien, qui doit signer son contrat de mariage le soir même, se rend chez sa maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de café concert, afin de rompre une bonne fois pour toutes. Hélas, on s’en doute, la scène de rupture est loin de se passer comme prévu.

Entre la Baronne Duverger, future belle-mère de Bois d’Enghien, qui demande son concours à Lucette pour la fameuse fête de signature du contrat, le Général Irrigua, espagnol fou de Lucette qui s’est mis en tête d’éliminer tous ceux qui se dresseraient entre elle et lui, et le malheureux Bouzin, « Littérateur par vocation ! mais clerc de notaire par état. » qui a écrit une chanson pour Lucette, rien ne va plus.

Je n’en dis pas plus. Les événements s’enchainent à un rythme effréné et chaque réplique fait mouche. La pièce est admirablement rythmée et surtout, merveilleusement drôle.

« Pourquoi désire-t-on une chose ? C’est parce que les autres la désirent… Qu’est-ce qui fait la valeur d’un objet ? C’est l’offre et la demande. Eh bien ! pour M. de Frenel…
- Il y avait beaucoup de demandes ?
- Tu y es ! Alors je me disais : "Voilà comme j’aimerais un mari !", parce qu’un mari comme ça, c’est flatteur ! ça devient comme une espèce de légion d’honneur ! et l’on est doublement fier de l’obtenir : d’abord pour la distinction dont on est l’objet, et puis… parce que ça fait rager les autres !… »

Et pourtant, contrairement aux apparences, Feydeau n’est pas si facile à jouer ! Sans doute, il est facile de monter une pièce de Feydeau qui présente bien : le texte est toujours astucieux et percutant, les personnages suffisamment excentriques, et les quiproquos inévitablement drôles, pour que toute représentation ait de l’allure pourvu qu’on joue un minimum correctement. Mais si on veut que chaque soir la pièce soit parfaitement orchestrée, et toujours amuser ceux qui la connaissent déjà, c’est une autre paire de manches !

Il y a quelques semaines, la représentation du Dindon, mis en scène par Bernard Murat au théâtre Edouard VII est passée sur France 2. Pour tout vous dire, je n’ai regardé que la moitié, tant j’ai trouvé la lourdeur des décors, les maladresses du jeu des comédiens, leurs hurlements et leurs grimaces insupportables… (Il faudrait que je voie le Dindon mis en scène par Lucas Hemleb pour en avoir autre aperçu !).

La mise en scène d’Un Fil à la patte de Jérôme Deschamps est tout le contraire (à noter que je n’ai pas encore vu la mise en scène de Jacques Charon de 1970). La pièce est semblable à une crème glacée, sucrée, colorée, acidulée, légère ! Au texte de Feydeau, aux situations qu’il a écrites, s’ajoutent la précision, l’application et le talent des comédiens français. C’est grâce à eux que chaque phrase fait rire, grâce à eux que la pièce emporte tous les spectateurs dans sa belle mécanique.

Ils parviennent à rendre naturelle la moindre des répliques, ce qui avec Feydeau ne semble pas gagné d’avance, n’entrent jamais dans la caricature, et pourtant conservent merveilleusement bien l’esprit du vaudeville. Ils trouvent un juste milieu, sans tomber dans l’exagération et sans s’éparpiller, mais sans ralentir le rythme ou perdre la gaieté et parfois la férocité de la pièce. Les costumes et les décors sont également sur cette ligne là. Très colorés, très originaux, très beaux, très travaillés… mais ni envahissants, ni de mauvais goût.

Un Fil à la patte est avant tout le travail d’une troupe, aussi je peux difficilement mentionner les comédiens un par un. La pièce a d’ailleurs remporté en 2011 le Molière du théâtre public. Ceci étant, je peux dire en passant que : je n’aimais pas Hervé Pierre qu’à présent j’apprécie (et je reconnais que son rôle est certainement un des plus difficiles à jouer) ; je n’aimais pas Georgia Scalliet qu’à présent j’adore; j’ai toujours admiré l’élégance naturelle et la vivacité de Florence Viala ; j’ai toujours été séduite par la présence de Thierry Hancisse, la maladresse de Serge Bagdassarian, et le ridicule tout anglais de Guillaume Gallienne (récompensé aux Molières pour son double rôle, à qui Thierry Hancisse disputait d’ailleurs la récompense).

Mais évidemment, un comédien est particulièrement remarquable, et je l’ai déjà dit. Christian Hecq est incroyable. Il ajoute au personnage de Bouzin une touche toute personnelle. A peine est-il sur scène que le public est littéralement plié en deux. Il faut voir sa souplesse, ses trémoussements, ses spasmes, son air niais, sa façon de marcher, de se comporter, de parler, de danser même ! Bouzin pourrait être un petit bonhomme totalement insignifiant, médiocre. Christian Hecq en fait un rôle marquant, extrêmement physique, qui lui a valu le Molière du Comédien.

Hier soir, on peut dire que le public était survolté. Les gens ont beaucoup ri (un peu trop à mon goût, puisqu’on perdait tout de même de nombreuses répliques dans le brouhaha !). Et si j’ai vu des applaudissements durer plus longtemps, jamais je n’en ai vu d’aussi enthousiastes ! Des personnes qui sifflent, poussent des cris de joie, lèvent les bras. Les comédiens l’ont bien senti également, puisqu’ils souriaient tous dès le premier salut, visiblement heureux eux-aussi. Cela n’arrive pas toujours, et croyez moi, cela fait énormément plaisir !

«Un Fil à la Patte est une réussite absolue.» écrit Jérôme Deschamps. Autant dire qu’il en est de même pour la mise en scène qu’il propose ! Un Fil à la patte est une petite merveille dont on trouvera peu d’égal. Sa finesse, sa subtilité, sa précision (il suffit de voir la pièce à plusieurs reprises pour comprendre que les pitreries des uns et des autres ne souffrent pas la moindre improvisation !) en font une pièce assez unique. Virtuose. Et rire autant fait un bien fou. Lorsque vous sortez d'Un Fil à la patte, vous vous sentez tout simplement apaisé... heureux.

« Bouzin !
- Le clerc en caleçon !
- Quelle horreur !
- Shocking ! »

3 commentaires:

  1. Je suis entièrement d'accord ! Même si ça m'a semblé un peu surjoué parfois.
    Voilà, c'est gagné, je viens de finir ton article et je suis morte de rire toute seule devant mon écran... Je l'avais enregistrée lors de son passage à la télévision, et depuis je l'ai vu tant de fois que je connais le rôle de Thierry Hancisse par cœur ! Malheureusement, un ami a réussi sans savoir comment à me perdre toute la seconde partie, résultat je pense que je vais acheter le DVD.

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  2. "Il est plous petite mais il est plus portative." "Laisse nous, la sor ! Allez vous en Mademoiselle !" "Elle est stupide la chanson, elle est stupide !"... oh moi aussi j'ai la voix de Thierry Hancisse qui va et vient dans ma tête ! Car si je ne le connaissais pas la 1ère fois que j'ai vu Un Fil à la Patte, depuis c'est différent !

    Je suis contente que mon article t'ait fait rire et rappelé de bons souvenirs, parce que je n'étais pas vraiment contente de moi. Je connais finalement trop la pièce pour me souvenir de mes premières impressions. :(

    Sinon, comme je l'ai écrit, je n'ai pas trouvé que c'était surjoué. :) Justement, j'ai vu bien pire (comme le Dindon que j'ai évoqué, et que j'ai trouvé insupportable tant le jeu des comédiens, excepté François Berléand, était exagéré !).

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    1. Ah ! Toi non plus tu n'as pas aimé le Dindon ! Idem, j'ai détesté tous les comédiens, sauf François Berléand (je crois que je ne l'ai jamais vu mal jouer...). Celui qui jouait Pontagnac était exécrable ! Et Lorant Deutsch me donnait envie de dormir. Lors de la diffusion télé je n'ai pas regardé jusqu'à la fin, j'ai vu le premier acte (et encore) et je suis allée me coucher. Pourtant je serais bien restée pour François Berléand.

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