Ce week-end, j’ai eu la grande chance de pouvoir assister à la représentation du Jeu de l’amour et du hasard par les comédiens de la Comédie Française, qui se jouera à la salle Richelieu du 11 octobre au 31 décembre 2011.
Pour ma part, j’ai vu la pièce au théâtre du Centquatre, centre culturel avant-gardiste, installé dans ce qui était auparavant les pompes funèbres de Paris, au beau milieu du XIXème arrondissement de la capitale. Inutile de vous dire que transposer du théâtre classique dans un tel cadre, c’est pour le moins surprenant, et on ne peut que féliciter la Comédie Française de cette nouvelle initiative.
Evidemment, comme d’habitude, la pièce est une franche réussite. Quelle que soit la mise en scène, le talent des comédiens est tel qu’on ne peut pas être déçu !
Je ne suis pas certaine d’avoir déjà lu Le Jeu de l’amour et du hasard. Ce qui est sûr, c’est que j’ai découvert cette pièce il y a un certain temps déjà, lorsque j’avais encore des cours de français. Toujours on m’avait parlé de son ambiguïté, de l’amertume et de la douleur, qui parsèment une histoire en apparence si comique.
Monsieur Orgon souhaite marier sa fille Sylvia au jeune Dorante, avec le père duquel il s’est mis d’accord. Les deux papas cependant, s’accordent pour laisser à leurs enfants un peu de temps, pendant lequel ils pourront faire connaissance afin d’accepter ou non d’épouser leur promis. Mais cela ne suffit pas à Sylvia, qui connaît l’hypocrisie des hommes : « nous parlions d’une physionomie qui va et qui vient ; nous disions qu’un mari porte un masque avec le monde et une grimace avec sa femme. » La jeune femme demande donc à son père la permission d’échanger sa place avec celle de sa suivante Lisette. Pendant que Lisette jouera les grandes dames, Sylvia pourra observer à loisir celui qu’on lui destine.
Et comme nous l’apprend Monsieur Orgon lui-même, que le père de Dorante a informé, il se trouve que ledit Dorante a eu exactement la même idée. C’est Arlequin qui prendra sa place, tandis qu’il se fera passer pour le valet, Bourguignon. S’engage alors un jeu, dont Sylvia, Dorante, Lisette et Arlequin sont tantôt acteurs, tantôt victimes, sous le regard bienveillant de Monsieur Orgon.
Le Jeu de l’amour et du hasard est plus qu’une simple comédie. Les personnages sont très rapidement dépassés par leurs stratagèmes. Dorante tombe amoureux de Sylvia, mais souffre du fait qu’il ne pourra pas l’épouser, car elle est une domestique. Sylvia veut savoir si Dorante est sincère, et le pousse presque à bout, en y jouant son propre cœur.
Arlequin et Lisette, qui éprouvent l’un pour l’autre des sentiments, sont réciproquement très fiers d’attirer l’attention d’une personne qu’ils croient noble. Mais que se passera-t-il lorsqu’ils comprendront que finalement, c’est bien ceux qui se ressemblent qui s’assemblent ? C’est une conclusion un peu amère, en vérité.
Dire que Marivaux ne parle que des classes sociales serait tout à fait réducteur. Là où l’auteur excelle le plus, c’est dans l’analyse qu’il fait de la psychologie de ses personnages. N’importe qui s’y retrouve, et c’est pourquoi la pièce est toujours d’une étonnante modernité. « Marivaux aborde la question d’une manière originale qui n’est que faussement convenue. Au lieu de juger, il observe. Il s’applique à créer un mécanisme à travers lequel il est possible d’étudier la beauté et la monstruosité des rapports humains », explique Galin Stoev, le metteur en scène. « En un sens, ce que dit Marivaux, c’est que pour toucher à la vérité, on passe inévitablement par le mensonge ».
Marivaux est immensément habile. J’ai un peu relu le texte, et la pièce est bien plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord (une grande liberté est laissée aux comédiens, mieux vaut qu’ils soient doués et imaginatifs !). Chaque réplique est un condensé d’humour, de dépit, de jalousie, de cruauté parfois… Et tout ceci, sous une apparente légèreté. Marivaux disait qu’il fallait que « les acteurs ne paraissent jamais sentir la valeur de ce qu’ils disent » (c’est pour cette raison que pendant longtemps, il a préféré confier ses pièces aux comédiens italiens, plutôt qu’aux français, qui montraient toujours trop d’esprit).
Parlons de la représentation ! Inutile de dire que si j’ai perçu la finesse de l’écriture de Marivaux, c’est parce que les comédiens que j’ai vus sont d’un talent sans limite ! Ils maîtrisent le texte à un point… c’est juste fantastique ! Grâce à eux la pièce est drôle, émouvante, poignante, douloureuse, intéressante et moderne (et je pèse mes mots !).
Je donnerai bien la palme à Alexandre Pavloff, qui excelle dans le rôle de Dorante. Incapable d’avoir l’air d’un domestique, parfait gentleman dans l’expression (pénible) de ses sentiments, ses scènes avec Léonie Simaga (Sylvia) ont une intensité peu commune (bon, je sais que je suis une incorrigible romantique, mais franchement, on ne peut pas nier que ce Dorante là est pour le moins "swoonant" !). C’est la troisième fois que je vois ce comédien, et à chaque fois, il est bluffant.
Léonie Simaga n’est pas en reste d’ailleurs, et plus je la vois, plus je l’admire ! Autre comédien impressionnant : Pierre Niney. Ce-dernier joue Mario, le frère de Sylvia, savant-fou totalement déjanté (penser que le comédien est né en 1989… voilà qui inspire le respect !). A noter qu’on retrouve aussi Christian Hecq, dernier lauréat du Molière du meilleur comédien pour son rôle de Bouzin dans Un fil à la patte. Il joue cette fois-ci Monsieur Orgon, mais on le voit trop peu pour qu’il soit au centre de l’attention.
Je suis un tout petit peu moins enthousiaste par rapport aux deux domestiques. Pierre Louis-Calixte est remarquable en Arlequin-noble-nouveau riche, et on le jurerait sorti d’une cité, dans ses intonations et ses attitudes (avec le texte de Marivaux, ça détonne !). Mais j’ai trouvé qu’il en faisait parfois un peu trop. Quant à Suliane Brahim, je suis désolée, mais je n’arrive pas à accrocher (je crois que c’est très personnel, mais j’ai toujours du mal avec sa manière de jouer).
Les costumes sont très chouettes. Lisette et Arlequin, qui n’ont aucune distinction, sont vêtus de costumes d’époque imposants et de mauvais goût. Sylvia et Dorante, quant à eux, ne parviennent pas à se débarrasser de leur élégance. Vêtus de costumes noirs, sobres et modernes, ils ont une classe incomparable ! Restent Monsieur Orgon (lui aussi habillé en costume d’époque, mais je n’ai pas compris pourquoi), et Mario (toujours complètement excentrique : torse nu, avec un grand pantalon de satin et une sorte de robe de chambre rose avec des franges sur l’encolure… atypique jusqu’au bout !).
Et puis un dernier mot sur le décor, qui est peut être la seule chose qui m’a déçue. Il est constitué de sortes de cubes, dont il ne resterait que les arrêtes, à la manière de cases dont les hommes ne pourraient pas sortir (si j’ai bien compris le livret, on ne peut se rencontrer et être libre qu’en dehors de ces cases, qui sont nos repères sociaux, moraux, psychologiques, mais on finit toujours par retourner dans lesdites cases). Enfin, l’idée est assez intéressante, mais au final peu exploitée. Les comédiens se contentent d’aller et venir dans ces cubes, sans que le décor n’évolue tellement.
Enfin, bref… vous l’aurez compris, je suis enthousiaste ! Les acteurs, plus que tout, sont époustouflants, et transmettent comme jamais les émotions de leurs personnages ! Pas d’hésitation à avoir, courez voir (ou revoir !) Le Jeu de l’amour et du hasard !
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