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dimanche 1 juillet 2012

→ UN FIL A LA PATTE - COMÉDIE FRANÇAISE

« Oh ! pardone ! yo le sais ! yo l’ai pas tuchurs été riche. Avant que yo le sois entré dans l’armée… comme chénéral ! yo l’avais pas de l’archent, quand yo l’étais professor modique et que yo l’ai dû pour vivre aller dans les familles… où yo donnais des léçouns de francess.
- De français ? Vous le parliez donc ?
- Yo vais vous dire ; dans moun pays, yo le parlais bienn ; ici, yo no sais porqué, yo le parlé mal. »

Hier soir, j’ai vu pour la troisième fois Un Fil à la patte à la Comédie Française. Je connais la pièce presque par cœur à présent (notamment parce qu’elle a été diffusée sur France 2, et que je l’ai regardée à plusieurs reprises depuis). Et pourtant, je ris toujours autant. Les contorsions de Christian Hecq sont toujours aussi formidables, et chaque plaisanterie est dite avec tant de naturel et de légèreté qu’on ne peut s’en lasser!

Vous avez forcément entendu parler d’Un Fil à la patte. Il y a eu tant de bruit autour de la pièce ! L’année dernière, lors de l’ouverture sur internet des réservations, le site de la Comédie française s’est trouvé saturé… en deux-trois jours, toutes les places de la salle Richelieu ont été vendues. Ce succès n’a pas été démenti par la suite, et le public est toujours aussi enthousiaste. La pièce a été diffusée sur France 2, puis jouée à deux reprises cette saison, et elle sera reprise pour la troisième fois consécutive l’an prochain.

Pourtant, j’ai découvert Un Fil à la patte presque par hasard, alors que personne n’en avait encore entendu parler. J’avais été invitée à l’avant-avant-dernière répétition de la pièce (soit la répétition précédant celle qu’on appelle la "couturière", elle-même précédant la "générale"). J’ai conscience de la chance incroyable que j’ai eue. Pourtant, sur le moment, je ne me rendais pas compte que je vivais un moment exceptionnel, et qui a sans doute peu de chances de se reproduire un jour.

Nous étions peu nombreux dans la salle Richelieu. Seulement deux classes de lycéens, deux-trois autres personnes, ma maman et moi. Les autres personnes présentes étaient là pour travailler. Juste derrière nous, le metteur en scène Jérôme Deschamps procédait aux derniers ajustements, à sa table de travail posée sur le dossier des fauteuils. Devant nous, côté cour, une personne avec une petite lampe et le texte sous les yeux, prête à vérifier que les comédiens allaient respecter à la lettre le texte de Feydeau.

Je m’attendais plutôt une vraie répétition (je veux dire des passages laissés de côté, d’autres répétés plusieurs fois, des comédiens qui s’interrompent… comme cela avait été le cas quand j’avais entr’aperçu une répétition de Fantasio peu de temps avant)… mais on ne peut pas dire que ça a été le cas ! En vérité, nous avons assisté à la pièce toute entière, aussi parfaitement interprétée que d’habitude, avec les mêmes costumes aujourd’hui familiers et les mêmes décors. Nous avons été le premier public à assister à Un Fil à la patte.

A la fin de la représentation, la plupart des comédiens étaient déjà rhabillés, et ils n’ont salué qu’à une reprise, tendus, dans l’attente de la première qui allait enfin leur faire savoir quel serait l’accueil du public.

Pourtant, avec le petit public que nous formions, les comédiens ont bien eu un premier indice que la pièce allait avoir un grand succès ! Comme j’ai pu le dire dans mon dernier billet, j’ai rarement autant ri ! Parce que je ne connaissais pas la pièce, même si j’étais familière de Feydeau (notamment de La Puce à l’oreille), et en raison de l’ambiance particulière de cette représentation là, j’ai été écroulée de rire du début à la fin. Je suis sortie du théâtre avec une merveilleuse sensation de bien-être.

C’était fabuleux. A cette époque, je ne connaissais pas encore Thierry Hancisse, et je me souviens surtout de l’ambiance de la pièce, de l’incroyable alchimie entre tous les comédiens, et bien-sûr, de Christian Hecq, Bouzin inimitable, désarticulé, inattendu, pitoyable, et tellement, tellement drôle ! (Christian Hecq est d’ailleurs venu parler au metteur en scène pendant l’entracte, et il était si calme, posé et sérieux que le contraste n’aurait pu être plus saisissant!)

Parlons de la pièce à présent. L’intrigue est finement ciselée, c’est une succession de petites scènes réglée comme du papier à musique, un « texte parsemé d’explosifs destinés à faire rire », un texte qui fait « un emploi étourdissant des mots d’esprit ». Jérôme Deschamps le dit « Il y a chez lui [Feydeau] un art de la construction poussé à la perfection. La mécanique est parfaitement réglée. Le génie de Feydeau réside dans l’art des contrastes, dans la mise en situation des obsessions de chacun, et dans l’entremêlement des situations».

Le ton est donné dès le départ. Monsieur de Bois d’Enghien, qui doit signer son contrat de mariage le soir même, se rend chez sa maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de café concert, afin de rompre une bonne fois pour toutes. Hélas, on s’en doute, la scène de rupture est loin de se passer comme prévu.

Entre la Baronne Duverger, future belle-mère de Bois d’Enghien, qui demande son concours à Lucette pour la fameuse fête de signature du contrat, le Général Irrigua, espagnol fou de Lucette qui s’est mis en tête d’éliminer tous ceux qui se dresseraient entre elle et lui, et le malheureux Bouzin, « Littérateur par vocation ! mais clerc de notaire par état. » qui a écrit une chanson pour Lucette, rien ne va plus.

Je n’en dis pas plus. Les événements s’enchainent à un rythme effréné et chaque réplique fait mouche. La pièce est admirablement rythmée et surtout, merveilleusement drôle.

« Pourquoi désire-t-on une chose ? C’est parce que les autres la désirent… Qu’est-ce qui fait la valeur d’un objet ? C’est l’offre et la demande. Eh bien ! pour M. de Frenel…
- Il y avait beaucoup de demandes ?
- Tu y es ! Alors je me disais : "Voilà comme j’aimerais un mari !", parce qu’un mari comme ça, c’est flatteur ! ça devient comme une espèce de légion d’honneur ! et l’on est doublement fier de l’obtenir : d’abord pour la distinction dont on est l’objet, et puis… parce que ça fait rager les autres !… »

Et pourtant, contrairement aux apparences, Feydeau n’est pas si facile à jouer ! Sans doute, il est facile de monter une pièce de Feydeau qui présente bien : le texte est toujours astucieux et percutant, les personnages suffisamment excentriques, et les quiproquos inévitablement drôles, pour que toute représentation ait de l’allure pourvu qu’on joue un minimum correctement. Mais si on veut que chaque soir la pièce soit parfaitement orchestrée, et toujours amuser ceux qui la connaissent déjà, c’est une autre paire de manches !

Il y a quelques semaines, la représentation du Dindon, mis en scène par Bernard Murat au théâtre Edouard VII est passée sur France 2. Pour tout vous dire, je n’ai regardé que la moitié, tant j’ai trouvé la lourdeur des décors, les maladresses du jeu des comédiens, leurs hurlements et leurs grimaces insupportables… (Il faudrait que je voie le Dindon mis en scène par Lucas Hemleb pour en avoir autre aperçu !).

La mise en scène d’Un Fil à la patte de Jérôme Deschamps est tout le contraire (à noter que je n’ai pas encore vu la mise en scène de Jacques Charon de 1970). La pièce est semblable à une crème glacée, sucrée, colorée, acidulée, légère ! Au texte de Feydeau, aux situations qu’il a écrites, s’ajoutent la précision, l’application et le talent des comédiens français. C’est grâce à eux que chaque phrase fait rire, grâce à eux que la pièce emporte tous les spectateurs dans sa belle mécanique.

Ils parviennent à rendre naturelle la moindre des répliques, ce qui avec Feydeau ne semble pas gagné d’avance, n’entrent jamais dans la caricature, et pourtant conservent merveilleusement bien l’esprit du vaudeville. Ils trouvent un juste milieu, sans tomber dans l’exagération et sans s’éparpiller, mais sans ralentir le rythme ou perdre la gaieté et parfois la férocité de la pièce. Les costumes et les décors sont également sur cette ligne là. Très colorés, très originaux, très beaux, très travaillés… mais ni envahissants, ni de mauvais goût.

Un Fil à la patte est avant tout le travail d’une troupe, aussi je peux difficilement mentionner les comédiens un par un. La pièce a d’ailleurs remporté en 2011 le Molière du théâtre public. Ceci étant, je peux dire en passant que : je n’aimais pas Hervé Pierre qu’à présent j’apprécie (et je reconnais que son rôle est certainement un des plus difficiles à jouer) ; je n’aimais pas Georgia Scalliet qu’à présent j’adore; j’ai toujours admiré l’élégance naturelle et la vivacité de Florence Viala ; j’ai toujours été séduite par la présence de Thierry Hancisse, la maladresse de Serge Bagdassarian, et le ridicule tout anglais de Guillaume Gallienne (récompensé aux Molières pour son double rôle, à qui Thierry Hancisse disputait d’ailleurs la récompense).

Mais évidemment, un comédien est particulièrement remarquable, et je l’ai déjà dit. Christian Hecq est incroyable. Il ajoute au personnage de Bouzin une touche toute personnelle. A peine est-il sur scène que le public est littéralement plié en deux. Il faut voir sa souplesse, ses trémoussements, ses spasmes, son air niais, sa façon de marcher, de se comporter, de parler, de danser même ! Bouzin pourrait être un petit bonhomme totalement insignifiant, médiocre. Christian Hecq en fait un rôle marquant, extrêmement physique, qui lui a valu le Molière du Comédien.

Hier soir, on peut dire que le public était survolté. Les gens ont beaucoup ri (un peu trop à mon goût, puisqu’on perdait tout de même de nombreuses répliques dans le brouhaha !). Et si j’ai vu des applaudissements durer plus longtemps, jamais je n’en ai vu d’aussi enthousiastes ! Des personnes qui sifflent, poussent des cris de joie, lèvent les bras. Les comédiens l’ont bien senti également, puisqu’ils souriaient tous dès le premier salut, visiblement heureux eux-aussi. Cela n’arrive pas toujours, et croyez moi, cela fait énormément plaisir !

«Un Fil à la Patte est une réussite absolue.» écrit Jérôme Deschamps. Autant dire qu’il en est de même pour la mise en scène qu’il propose ! Un Fil à la patte est une petite merveille dont on trouvera peu d’égal. Sa finesse, sa subtilité, sa précision (il suffit de voir la pièce à plusieurs reprises pour comprendre que les pitreries des uns et des autres ne souffrent pas la moindre improvisation !) en font une pièce assez unique. Virtuose. Et rire autant fait un bien fou. Lorsque vous sortez d'Un Fil à la patte, vous vous sentez tout simplement apaisé... heureux.

« Bouzin !
- Le clerc en caleçon !
- Quelle horreur !
- Shocking ! »

dimanche 20 mai 2012

→ UNE HISTOIRE DE LA COMÉDIE FRANÇAISE - COMÉDIE FRANÇAISE

« La Comédie française ? Ah non, très peu pour moi. J’ai horreur du théâtre classique. Les tragédies, je trouve ça d’un ennui… » Rassurez-vous, jamais personne ne m’a encore dit ces choses là en face. Pourtant, je sens parfois que c’est là un préjugé assez répandu, aussi bien chez les personnes qui connaissent peu le théâtre, que chez les autres, qui par snobisme ne veulent aller voir que des pièces avant-gardistes, parce que « La Comédie française ? C’est tellement convenu ! ».

Et quelle erreur ! Hier soir, je suis allée voir au Théâtre éphémère Une histoire de la Comédie Française, mise en scène par Muriel Mayette. Et j’ai eu la preuve que la Comédie Française allait indiscutablement avec son temps. Quelle représentation ! Quelle interprétation ! Une bouffée d'oxygène ! En voyant la qualité de ce spectacle tout simplement explosif, alors que la salle était à moitié vide, et que je n’avais même pas payé ma place, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’écrive un article pour rendre hommage à cette institution formidable et en pleine mutation, et à ses comédiens au talent insurpassable.

Avant toutes choses, j’aimerais dire à ceux qui ont l’intention d’aller voir la pièce qu’il vaut mieux ne pas lire mon article. J’essaye de ne pas tout raconter, mais j’en dirais toujours trop. Le meilleur moyen de profiter du spectacle est d’y aller sans savoir vraiment à quoi s’attendre. La seule chose que vous pouvez faire, c’est réviser vos classiques. Il y a de nombreuses références au théâtre dans cette pièce, et mieux vaut n’être pas un complet néophyte (pour le reste, vous ferez comme moi, vous apprendrez au fur et à mesure !).

Hier soir, donc, j’ai eu la chance d’être invitée à Une histoire de la Comédie Française. Et franchement, je ne m’attendais pas à être autant séduite, ni à autant rire ! Jamais je n’ai autant ri. Ou alors ça fait très longtemps… à moins que ce ne soit pendant Un Fil à la Patte ? Incroyable, n’est-ce-pas, qu’il faille aller à la Comédie Française pour rire à ce point ? En me souvenant de certains passages, je ris encore de très bon coeur !

Une histoire de la Comédie Française aurait pu être un spectacle scolaire et sage que cela ne m’aurait pas surprise. Je pense qu’on peut parler de préjugé (et pourtant, je connais un peu la Comédie Française !). Parce qu’on assiste dans ce spectacle à une destruction, une explosion en règle de tous les clichés que nous avons en tête ! (Et on devine en ceci la philosophie de Muriel Mayette, qui se bat depuis sa nomination pour dépoussiérer l'institution et lui donner une image plus dynamique).

Qui a dit que la Comédie Française était vieux jeu, ennuyeuse, incapable de fantaisie, condamnée à jouer Phèdre ad vitam aeternam ? Allez voir Une histoire de la Comédie Française et vous serez convaincus du contraire ! Cette pièce porte un regard hyper vivant sur le Français. Un regard parfois très critique. Et un regard tellement rempli d’autodérision, d’humour, d’excentricité, et presque d’absurdité, que j’ai même fini par penser à Doctor Who !

La pièce a été écrite pour l’occasion par Christophe Barbier, et le concept est tout simple. Cinq comédiens pour cinq siècles. Chacun à leur tour, ils viennent raconter, à la manière et avec les costumes de leur siècle, la vie de la Comédie Française, le monde du théâtre, la façon de jouer, la personnalité des grands acteurs et auteurs de leur siècle. Seul décor, un rideau écru, au fond de la scène.

Je suis sûre que certains se disent qu’une telle pièce doit être mortelle. Et bien, pas du tout. Très loin de là. D’abord on est loin d’assister à une leçon d’histoire. Ce ne sont pas les événements d’un siècle qui sont racontés, mais c’est l’esprit du siècle qui nous est suggéré. Je me doutais que plus les siècles allaient passer, plus le spectacle allait nous parler. En fin de compte, c’est à peu près ce qui s’est passé, mais avec beaucoup plus de force que ce à quoi je m’attendais !

D’un monologue à l’autre, tout change. La façon de parler, les costumes, la gestuelle, la manière de raconter les différentes personnalités des auteurs et des acteurs, la manière de parler du monde et de la Comédie Française. A chaque entrée d’un comédien, on ne sait pas à quoi s’attendre. Et à mesure que le temps passe, on est emporté dans un tourbillon irrésistible vers le présent. C’est jubilatoire !

Le ton de la pièce change avec les siècles. Le XVIIème siècle est sombre, inquiétant, étriqué. Et Bruno Raffaelli (que décidément, je n’aime pas trop), qui a hérité d’une perruque Louis XIV, est impressionnant, imposant, et raconte, calmement. Au départ, il faut s’accrocher, le XVIIème siècle n’étant pas hyper accessible, ou attrayant. Puis survient le XVIIIème siècle, un brin libertin, malicieux, en la personne de Loïc Corbery. Ce comédien là est cabotin à souhait, tantôt insolent, tantôt fier et sûr de lui. Il ne raconte plus déjà, il dit ce qu’il lui passe par la tête, il bavarde presque…

Et puis on passe aux choses sérieuses. Le XIXème siècle. Mon siècle ! Le passage du XVIII au XIXème siècle est fabuleux. J’étais à demi levée de mon fauteuil, me disant « Oh, mon Dieu, regarde, c’est le XIXème siècle, c’est le XIXème ! ». Elsa Lepoivre est fantastique elle-aussi, et elle passe d’un personnage à l’autre avec une aisance admirable. La comédienne apporte à ce merveilleux siècle, élégance, arrogance, liberté, passion… romantisme évidemment. Sans oublier de petites notes de légèreté, les personnages étant toujours croqués avec humour et bienveillance.

A ce moment là, je pense que tous les spectateurs étaient déjà séduits. C’était déjà un voyage dans le temps passionnant, drôle, prenant, fascinant ! Et quelle habileté dans l’écriture de la pièce ! A mesure que les siècles passent, le français devient plus proche du nôtre, et de temps à autre on croise les vers de nos pièces préférées. C’est intelligent, bien écrit et audacieux.

Alors vient le XXème siècle. Pierre Niney. Hallucinant ! C’est ce mot qui lui convient le mieux. Quelle élégance ! Quelle aisance ! Quelle énergie ! Un tel talent à son âge, c’est époustouflant ! J’ai retrouvé là le sentiment d’euphorie qui a pu me traverser en voyant Thierry Hancisse interpréter Arnolphe. Le XXème siècle nous semble sympathique, abordable, un peu égaré, plein d’autodérision, et surtout, complètement survolté ! En vérité, il semble que la Comédie Française soit complètement passée à côté du XXème siècle... Pierre Niney met tant d’énergie à jouer qu’il emporte définitivement l’adhésion du public. Il court à droite à gauche, rencontre Brecht, Patrice Chéreau, nous fait revivre la première diffusion radiophique d'une pièce de théâtre... Avec le XXème siècle, la pièce devient tellement drôle ! Et Pierre Niney brûle les planches comme jamais ! Son au revoir est si plein d'enthousiasme et d'optimisme que la salle applaudit à tout rompre alors même que la représentation n'est pas terminée. 

Et pour finir, le XXIème siècle. Je ne vous dirai pas ce que nous raconte Elliott Jenicot. Ce serait gâcher bien trop votre surprise. Mais imaginez le délire théâtral le plus improbable, et peut-être en aurez-vous un aperçu ! Il était difficile de passer après Pierre Niney, et pourtant… A nouveau, la pièce est portée encore plus haut. La Comédie Française entre dans le monde moderne, et avec un humour tout à fait bon enfant. Rien de malsain, rien d'irrespectueux, juste la volonté d'aller de l'avant, d'être plus humble et plus ouvert, de prendre sa place dans le monde du théâtre, et plus que jamais de garder sa devise à l'esprit : «  simul et singulis » (fini l'esprit clanique dont a pu parler Thierry Hancisse, les Comédiens Français forment une troupe !).  

La pièce s’achève dans une complète apothéose, faisant exploser dans une incroyable bonne humeur tous les clichés, tous les préjugés qu’on peut avoir. La Comédie Française peut tout jouer, ses comédiens peuvent tout faire. Ne reste qu’un immense amour pour le théâtre dont la Comédie Française propose un renouvellement inédit.

A la fin de la pièce, les spectateurs ont applaudi avec énormément d’énergie, et certains se sont même levés tant l’enthousiasme était grand. Alors, si vous aimez le théâtre, ou la Comédie Française, si vous rêvez de rencontrer Sarah Bernhardt ou de croiser Gérard Philipe, et si vous êtes admiratif du travail des comédiens, n’hésitez plus une seconde et faites moi confiance : courez au Théâtre éphémère !

mercredi 7 décembre 2011

→ L'ECOLE DES FEMMES - COMÉDIE FRANÇAISE

« Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme.
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme :
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est,
Et je lui puis donner la forme qui me plaît.»


Voilà maintenant deux semaines que j’ai assisté à la représentation de l’Ecole des femmes à la Comédie Française. J’avais eu l’immense chance de recevoir une invitation par Muriel Mayette, pour une des "générales presse" (la troisième je crois), et du coup, j’étais on ne peut mieux placée (vraiment, on ne peut pas faire mieux, j’étais au troisième rang, dans l’orchestre, pile au milieu !). Déjà, la soirée s’annonçait bien ! Et croyez moi, j’en ai profité.

Dès le lendemain, j’ai commencé à rédiger ce billet, de peur d’oublier mes impressions. Faute de temps, je l’achève seulement ce soir. Mais il me semble indispensable de vous reproduire ici ce que j’ai écrit dans le feu de l’action, tel quel !

Jamais je n’ai rien vu de pareil. Depuis hier, je suis sur un petit nuage. J’ai l’impression d’avoir été dans un autre monde, ou une autre dimension… Comme si j’avais pris de longues vacances. Je ressens la nécessité impérieuse d’écrire sur ce que j’ai vécu, avant que ces impressions d’enthousiasme et d’euphorie ne s’estompent. Et le pire de tout, c’est que je ne trouve absolument pas les mots. Comment est-il possible de mettre des mots sur l’immense talent de Thierry Hancisse ?

Epoustouflant, inconcevable, incomparable, géant, impressionnant, sidérant, improbable, fou, immensément admirable, « monstrueusement prodigieux » (expression parfaitement juste que j’ai pu lire sur le net), méga-enthousiasmant. C’est à peu près ce que j’ai en tête. Dans son interprétation d’Arnolphe, Thierry Hancisse dépasse tout ce que j’ai pu voir en théâtre jusque là. JAMAIS je n’ai vu ça. Un comédien vivre son rôle à ce point. Avoir un tel abandon, et un tel contrôle de lui-même. Eprouver physiquement avec autant d’intensité la souffrance de son personnage. Il transpire, bave, tremble avec une violence épouvantable, étouffe, pleure, s’effondre, et finit par fuir en riant comme un fou…

Thierry Hancisse est monstrueusement brillant. Il n’est effrayant que lorsqu’on sent toute sa puissance physique à deux doigts d’échapper à son contrôle, ou lorsqu’il vous fixe de ses yeux perçants. En fait, comme j’étais au milieu et tout devant (donc quasi sur la scène), il lui arrivait de regarder pile en face de lui, c'est-à-dire là où se trouvait ma tête… Je vous jure, impossible de le regarder dans les yeux ! Le regard de Thierry Hancisse était insoutenable, intense, immensément intimidant. Ma tête se baissait toute seule, poussée par une force invisible (là vous me prenez pour une folle, mais je vous jure que c’est vrai !).

Le reste du temps, le comédien est hallucinant. Pour quelqu’un qui essaye de faire du théâtre, penser qu’on puisse accéder à un tel niveau d’interprétation, c’est tout simplement euphorisant. Et voilà pourquoi je suis depuis hier soir dans un tel état d’excitation. Et en plus, il m’est impossible (et c’est hyper-frustrant !) de vous faire passer ce que j’ai pu vivre. Aucun mot n’est assez fort ou assez précis.

Bref, vous l’aurez compris. Comme jamais, j’ai passé la pièce complètement scotchée par le talent d’un comédien, et estomaquée qu’un jeu pareil puisse exister. Peut-être est-ce parce j’ai vu le Cyrano de Michel Vuillermoz de très loin (tout là-haut dans la galerie), ou que je n’ai pas une énorme expérience des tragédies ? Ou peut être est-ce aussi parce que je ne m’attendais pas à tel spectacle, en allant assister à une pièce comique de Molière ? Le fait est que jamais je n’avais été autant sidérée par une interprétation.

Obnubilée comme je l’étais par Thierry Hancisse, je ne suis pas certaine d’avoir bien tout vu de la pièce (!).

« Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute puissance. »


Voilà, c’est ici que je reprends le clavier au présent. Dès la première scène, Arnolphe annonce la couleur. Il avertit son ami Chrysalde qu'il a l'intention de se marier. Mais Arnolphe n’est pas fou, il sait que toutes les femmes sont mesquines et menteuses, et qu’elles finissent toutes par mener leur mari par le bout du nez, et donc par le tromper. Hanté comme il est par la peur d’être un jour cocu, Arnolphe s’est voulu plus prudent. Il va épouser Agnès, sa pupille de 17 ans, qu’il a recueillie toute jeune, enfermée soigneusement pendant 13 ans, et élevée dans une complète ignorance.

Heureusement (ou malheureusement, on ne sait plus trop bien…), Agnès croise la route du jeune et passionné Horace. Les jeunes gens ont tôt fait de s’attacher l’un à l’autre. Et Horace, désespéré de voir sa bien-aimée séquestrée par un vieil homme qui veut la garder pour lui, ne trouve rien de mieux à faire que de se confier à Arnolphe.

Impossible de résumer la suite, sans parler de la mise en scène. (Mine de rien, j’ai lu tellement de critiques depuis l’autre jour, que j’écris certainement des choses qui ne me seraient pas naturellement venues à l’esprit). Il faut croire que Molière jouait la pièce comme une comédie. Son Arnolphe était paraît-il « franchement comique ». Pourtant, avec Jacques Lassalle, l’Ecole des femmes devient une tragédie. Ce-dernier écrit dans le programme : « L’auteur du Tartuffe ne détesterait peut être pas que l’on songe enfin à interroger l’arrière-pays vénéneux de ses comédies. »

L’Ecole des femmes est une tragédie. Tout commence avec la séquestration d’une enfant (le metteur en scène évoque lui-même Natascha Kampuch)… et s’achève par la passion et la folie d’un homme. Avec Jacques Lassalle, Arnolphe sombre peu à peu dans une sorte de folie, d’hébétude. Horace finit faible et méprisable aux yeux d’Agnès. Et que dire d’Agnès justement, Agnès qui finit déçue par la médiocrité d’Horace, et brisée par la perte brutale de son innocence et par la cruauté et la souffrance d’Arnolphe ?

« Arnolphe, sieur de La Souche, serait un fou doublé d’un monstre, rien de moins, s’il ne finissait pas s’avouer et nous avouer, en même temps qu’à Agnès, l’insondable douleur de sa passion. Alors, c’en est fini de l’effroi qu’il nous inspirait. Il nous convainc, nous émeut, nous bouleverse. Il nous dénude et nous délivre. Il pourrait être nous. »

J’ai beaucoup aimé le décor naïf et apaisant, au milieu du déchirement des personnages. Agnès vit sur une île, et on y entend le clapotis de l’eau et le gazouillement des oiseaux. De la ville, sa maison se devine seulement, comme une ombre, derrière une toile peinte qui figure le décor d’une rue. Et parfois, la salle entière s’allume, et les comédiens parlent au public (la représentation commence d’ailleurs ainsi, ce qui a valu à un retardataire un regard réprobateur d’Arnolphe, qui venait du fond de la salle, sa valise à la main !).

Il me reste un petit mot à dire sur la distribution. J’ai eu la chance de voir les deux sociétaires honoraires Yves Gasc (notaire incompétent à souhait !) et Simon Eine (charismatique père d’Horace). J’ai adoré Gilles David (Chrysalde), qui apporte à la pièce une touche d’équilibre et de sérénité très appréciable. Un peu moins aimé cependant les deux serviteurs, interprétés par Pierre-Louis Calixte et Céline Samie, que j’ai trouvé trop caricaturaux, agaçants, et finalement pas si drôles. Jérémy Lopez est quant à lui parfait dans le rôle d’Horace (le rôle du jeune premier n’étant jamais facile à jouer).

Et restent enfin, les deux héros. Julie-Marie Parmentier et Thierry Hancisse. Ces deux là, se complètent admirablement. Julie-Marie Parmentier (qui fait extrêmement jeune, on lui donnerait 18 ans, alors qu’elle en a 30 !) joue le rôle d’Agnès avec beaucoup de simplicité, de limpidité (en passant, j’adore sa voix). Adorable, sage, et gaie au départ, puis renfermée sur elle-même et sourdement révoltée, et enfin froide, impitoyable envers Arnolphe, et pourtant toujours fragile et sensible.

Et comme on l’a dit, Thierry Hancisse n’est pas le plus mauvais ! Juste une chose, qui relève du choix de l’interprétation. Dès qu’Arnolphe apprend qu’Horace a courtisé Agnès, il éprouve une grande douleur. A mon avis, la pièce aurait gagné à ce que cette douleur soit exprimée avec moins de violence au départ, laissant par la suite le champ libre à sa montée en puissance.

Deux scènes magiques entre ces deux comédiens. Celle des maximes où l’on rit, mais avec le cœur serré, pour Agnès et pour Arnolphe. Et celle où enfin, Arnolphe avoue son amour à la jeune femme, déchirante.

« ARNOLPHE :
Sans cesse nuit et jour je te caresserai,
Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai.
Tout comme tu voudras tu pourras te conduire.
Je ne m’explique point, et cela c’est tout dire.
(A part.) Jusqu’où la passion peut-elle faire aller ?
(Haut.) Enfin, à mon amour, rien ne peut s’égaler.
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate ?
Me veux-tu voir pleurer ? Veux-tu que je me batte ?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ?
Veux-tu que je me tue ? Oui, dis si tu le veux.
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.

AGNES :
Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme.
Horace avec deux mots en ferait plus que vous.»


Alors si vous en avez l’occasion n’hésitez surtout pas. L’Ecole des femmes est d'une modernité sidérante et le destin d'Agnès et Arnolphe ne pourra pas vous laisser indifférents. Et puis l'Ecole des femmes est avant tout, une très très grande leçon de théâtre.

mardi 4 octobre 2011

→ LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD - COMÉDIE FRANÇAISE

Ce week-end, j’ai eu la grande chance de pouvoir assister à la représentation du Jeu de l’amour et du hasard par les comédiens de la Comédie Française, qui se jouera à la salle Richelieu du 11 octobre au 31 décembre 2011.


Pour ma part, j’ai vu la pièce au théâtre du Centquatre, centre culturel avant-gardiste, installé dans ce qui était auparavant les pompes funèbres de Paris, au beau milieu du XIXème arrondissement de la capitale. Inutile de vous dire que transposer du théâtre classique dans un tel cadre, c’est pour le moins surprenant, et on ne peut que féliciter la Comédie Française de cette nouvelle initiative.

Evidemment, comme d’habitude, la pièce est une franche réussite. Quelle que soit la mise en scène, le talent des comédiens est tel qu’on ne peut pas être déçu !

Je ne suis pas certaine d’avoir déjà lu Le Jeu de l’amour et du hasard. Ce qui est sûr, c’est que j’ai découvert cette pièce il y a un certain temps déjà, lorsque j’avais encore des cours de français. Toujours on m’avait parlé de son ambiguïté, de l’amertume et de la douleur, qui parsèment une histoire en apparence si comique.

Monsieur Orgon souhaite marier sa fille Sylvia au jeune Dorante, avec le père duquel il s’est mis d’accord. Les deux papas cependant, s’accordent pour laisser à leurs enfants un peu de temps, pendant lequel ils pourront faire connaissance afin d’accepter ou non d’épouser leur promis. Mais cela ne suffit pas à Sylvia, qui connaît l’hypocrisie des hommes : « nous parlions d’une physionomie qui va et qui vient ; nous disions qu’un mari porte un masque avec le monde et une grimace avec sa femme. » La jeune femme demande donc à son père la permission d’échanger sa place avec celle de sa suivante Lisette. Pendant que Lisette jouera les grandes dames, Sylvia pourra observer à loisir celui qu’on lui destine.

Et comme nous l’apprend Monsieur Orgon lui-même, que le père de Dorante a informé, il se trouve que ledit Dorante a eu exactement la même idée. C’est Arlequin qui prendra sa place, tandis qu’il se fera passer pour le valet, Bourguignon. S’engage alors un jeu, dont Sylvia, Dorante, Lisette et Arlequin sont tantôt acteurs, tantôt victimes, sous le regard bienveillant de Monsieur Orgon.


Le Jeu de l’amour et du hasard est plus qu’une simple comédie. Les personnages sont très rapidement dépassés par leurs stratagèmes. Dorante tombe amoureux de Sylvia, mais souffre du fait qu’il ne pourra pas l’épouser, car elle est une domestique. Sylvia veut savoir si Dorante est sincère, et le pousse presque à bout, en y jouant son propre cœur.

Arlequin et Lisette, qui éprouvent l’un pour l’autre des sentiments, sont réciproquement très fiers d’attirer l’attention d’une personne qu’ils croient noble. Mais que se passera-t-il lorsqu’ils comprendront que finalement, c’est bien ceux qui se ressemblent qui s’assemblent ? C’est une conclusion un peu amère, en vérité.

Dire que Marivaux ne parle que des classes sociales serait tout à fait réducteur. Là où l’auteur excelle le plus, c’est dans l’analyse qu’il fait de la psychologie de ses personnages. N’importe qui s’y retrouve, et c’est pourquoi la pièce est toujours d’une étonnante modernité. « Marivaux aborde la question d’une manière originale qui n’est que faussement convenue. Au lieu de juger, il observe. Il s’applique à créer un mécanisme à travers lequel il est possible d’étudier la beauté et la monstruosité des rapports humains », explique Galin Stoev, le metteur en scène. « En un sens, ce que dit Marivaux, c’est que pour toucher à la vérité, on passe inévitablement par le mensonge ».

Marivaux est immensément habile. J’ai un peu relu le texte, et la pièce est bien plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord (une grande liberté est laissée aux comédiens, mieux vaut qu’ils soient doués et imaginatifs !). Chaque réplique est un condensé d’humour, de dépit, de jalousie, de cruauté parfois… Et tout ceci, sous une apparente légèreté. Marivaux disait qu’il fallait que « les acteurs ne paraissent jamais sentir la valeur de ce qu’ils disent » (c’est pour cette raison que pendant longtemps, il a préféré confier ses pièces aux comédiens italiens, plutôt qu’aux français, qui montraient toujours trop d’esprit).


Parlons de la représentation ! Inutile de dire que si j’ai perçu la finesse de l’écriture de Marivaux, c’est parce que les comédiens que j’ai vus sont d’un talent sans limite ! Ils maîtrisent le texte à un point… c’est juste fantastique ! Grâce à eux la pièce est drôle, émouvante, poignante, douloureuse, intéressante et moderne (et je pèse mes mots !).

Je donnerai bien la palme à Alexandre Pavloff, qui excelle dans le rôle de Dorante. Incapable d’avoir l’air d’un domestique, parfait gentleman dans l’expression (pénible) de ses sentiments, ses scènes avec Léonie Simaga (Sylvia) ont une intensité peu commune (bon, je sais que je suis une incorrigible romantique, mais franchement, on ne peut pas nier que ce Dorante là est pour le moins "swoonant" !). C’est la troisième fois que je vois ce comédien, et à chaque fois, il est bluffant.

Léonie Simaga n’est pas en reste d’ailleurs, et plus je la vois, plus je l’admire ! Autre comédien impressionnant : Pierre Niney. Ce-dernier joue Mario, le frère de Sylvia, savant-fou totalement déjanté (penser que le comédien est né en 1989… voilà qui inspire le respect !). A noter qu’on retrouve aussi Christian Hecq, dernier lauréat du Molière du meilleur comédien pour son rôle de Bouzin dans Un fil à la patte. Il joue cette fois-ci Monsieur Orgon, mais on le voit trop peu pour qu’il soit au centre de l’attention.

Je suis un tout petit peu moins enthousiaste par rapport aux deux domestiques. Pierre Louis-Calixte est remarquable en Arlequin-noble-nouveau riche, et on le jurerait sorti d’une cité, dans ses intonations et ses attitudes (avec le texte de Marivaux, ça détonne !). Mais j’ai trouvé qu’il en faisait parfois un peu trop. Quant à Suliane Brahim, je suis désolée, mais je n’arrive pas à accrocher (je crois que c’est très personnel, mais j’ai toujours du mal avec sa manière de jouer).


Les costumes sont très chouettes. Lisette et Arlequin, qui n’ont aucune distinction, sont vêtus de costumes d’époque imposants et de mauvais goût. Sylvia et Dorante, quant à eux, ne parviennent pas à se débarrasser de leur élégance. Vêtus de costumes noirs, sobres et modernes, ils ont une classe incomparable ! Restent Monsieur Orgon (lui aussi habillé en costume d’époque, mais je n’ai pas compris pourquoi), et Mario (toujours complètement excentrique : torse nu, avec un grand pantalon de satin et une sorte de robe de chambre rose avec des franges sur l’encolure… atypique jusqu’au bout !).

Et puis un dernier mot sur le décor, qui est peut être la seule chose qui m’a déçue. Il est constitué de sortes de cubes, dont il ne resterait que les arrêtes, à la manière de cases dont les hommes ne pourraient pas sortir (si j’ai bien compris le livret, on ne peut se rencontrer et être libre qu’en dehors de ces cases, qui sont nos repères sociaux, moraux, psychologiques, mais on finit toujours par retourner dans lesdites cases). Enfin, l’idée est assez intéressante, mais au final peu exploitée. Les comédiens se contentent d’aller et venir dans ces cubes, sans que le décor n’évolue tellement.

Enfin, bref… vous l’aurez compris, je suis enthousiaste ! Les acteurs, plus que tout, sont époustouflants, et transmettent comme jamais les émotions de leurs personnages ! Pas d’hésitation à avoir, courez voir (ou revoir !) Le Jeu de l’amour et du hasard !

mardi 22 juin 2010

→ CYRANO DE BERGERAC - COMÉDIE FRANÇAISE

« Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand.
- Très
- Ha !
- C’est tout ? »


J’ai l’impression que ce mois-ci, question théâtre, je suis gâtée ! Avant-hier soir, j’ai pu assister à la représentation de Cyrano de Bergerac, mis en scène par Denis Podalydès, à la Comédie Française. Et comme d’habitude (je suis trop souvent positive sur ce blog, et tout ça va finir par affaiblir mes propos !), je veux vous communiquer mon enthousiasme. Tout ce que j’ai envie de dire, c’est que c’était du très grand théâtre.

Comme je suis gentille, je vais essayer de détailler un petit peu – essayer seulement, parce que je ne pense pas pouvoir trouver les mots pour décrire ce que j’ai ressenti.

Avant-hier, je ne connaissais de Cyrano que peu de choses : « C’est un roc ! … C’est un cap ! … C’est un pic ! Que dis-je c’est un cap ? … C’est une péninsule ! ». Au-delà du nez de Cyrano et de son amour pour sa cousine Roxane, je n’avais qu’une vague idée de la fin de l’intrigue, mais rien de plus. Alors évidemment, et tous ceux qui connaissent la pièce le comprendront, j’ai d’abord aimé le texte de Rostand, beau, émouvant et drôle aussi ; puis l’histoire (car il y a une histoire, et sans vouloir jouer les rétrogrades, j’aime bien moi quand il y a un début, une suite et une fin) ; et les personnages –oh Cyrano, Cyrano … alors que certains sont touchés par le jeune Christian, moi je suis tombée sous son charme !

Je ne m’attarde pas sur la pièce : ce n’est pas comme si Cyrano était la dernière pièce à la mode. Je vais plutôt vous parler du très beau spectacle que j’ai vu hier soir.

Originale sans être déjantée, la mise en scène de Denis Podalydès m'a vraiment transportée. Une ambiance magique, fantastique, beaucoup de délicatesse et d'élégance ... A l'image de la pièce, sans aucun doute.

Quoi qu'il en soit, ce qui m’a le plus frappée dans la mise en scène, c’est son sens du détail. C’est peut être un peu présomptueux d’écrire une chose pareille, sachant que tous les metteurs en scène s’attachent aux détails. Pourtant, je crois qu’hier, les détails, c’était un peu le plus important.

Avant toute chose, et justement à propos de ces détails, le petit bémol de la mise en scène. La toute première scène de la pièce qui se déroule dans les coulisses d’un théâtre (dans lesquelles on assiste au duel génial –épée et vers, de Cyrano), ne m’a pas du tout convaincue. Je n’arrivais ni à comprendre le décor (sommes nous dans un théâtre ? dans les coulisses ou sur la scène ? où est le public ?), ni les mots des acteurs qui parlaient bien trop vite (d’accord, avant une représentation, l’agitation règne dans les coulisses… mais quand même !). Trop de monde, trop vite, trop de décors dans tous les sens. Cette scène a pris tout son sens quand j’ai lu le texte de Rostand et sera sans doute appréciée par ceux qui connaissent déjà l’œuvre. Mais pour ma part, j’ai eu l’impression d’être noyée dans les détails, et j’ai pris peine à entrer dans la pièce. Cette impression négative est revenue de temps en temps (les acteurs trop nombreux parlaient parfois trop fort, ou trop vite … quel gâchis à ces moments là !).

Mais tout ceci est bien loin d’affecter mon impression d’ensemble. C’est dire la qualité du spectacle. Le sens du détail de Podalydès est au bout du compte un pari plus que réussi. Les décors et les costumes (qui ont fait remporter à Christian Lacroix le Molière du créateur de costumes en 2007) sont très travaillés, et vraiment magnifiques.

Alors, ce qui est formidable, c’est qu’au final, on a le sentiment d’un ensemble parfaitement harmonieux. Le génie de Podalydès, c'est de réussir à garder l’esprit de la pièce, tout en suggérant par tous ces détails, sa vision à lui de Cyrano de Bergerac : « Cyrano est un rêve de théâtre total, un mélange des arts et des genres : opéra bouffe, tragédie, drame romantique, poésie symboliste, farce moliéresque ».

J'ai été tellement touchée par cette pièce que la seule chose que je peux faire est d’évoquer les passages qui m’ont le plus marquée. Je garderai toujours le souvenir de la si belle scène où Cyrano, dans l’ombre du balcon, murmure des vers à Roxane, les arbres bruissant derrière lui. Ou encore celui du camp des Cadets de Gascogne, qui semble sorti de la première guerre mondiale, les coquelicots tout légers poussant dans l’herbe. Sans parler de la scène où Cyrano "venu de la Lune" raconte des balivernes au Comte de Guiche, de la scène (très émouvante) de la fin, du Boléro de Ravel et de la valse de Khatchatourian qui résonnent si fort et qui remuent profondément le spectateur … Toutes les scènes sont formidables, presque magiques, et je suis bien incapable de faire le tri.

Je veux juste faire une petite remarque. J’ai été étonnée que Roxane prenne presque part au combat, et je n’ai pu m’empêcher d’aller jeter un œil à la pièce de Rostand. J’y ai lu le « Je reste. On va se battre. » observateur et doux de Roxane. Et la Comédie Française, tout en gardant le même texte, a changé le caractère de la jeune femme. C’est amusant, orignal et ça donne envie de trouver ces petites failles des textes qui font qu’on peut proposer une interprétation unique. Et notre Roxane s’exclame : « Je reste ! On va se battre ! ».

Tout ça pour aboutir au plus important, au plus génial. La Comédie Française fait de Cyrano de Bergerac un spectacle inoubliable parce qu’au-delà des costumes et des décors, déjà tellement parfaits, la pièce repose sur Michel Vuillermoz, Cyrano époustouflant (le petit Christian est assez convaincant lui aussi, mais bon ...). Grâce à notre Cyrano, les scènes comiques sont drôles et les scènes émouvantes nous touchent profondément –et même lorsqu’on pourrait reprocher un manque de sensibilité à Roxane. Tour à tour, il suscite admiration, compassion, douceur, enthousiasme, sympathie, tristesse, incompréhension aussi. Michel Vuillermoz (qui a joué dans Un long dimanche de fiançailles ou dans Atonement de Joe Wright – mais ne me demandez pas dans quels rôles) est un virtuose.

Je crois que pour ceux qui font du théâtre, c’est quelque chose de très particulier de le voir jouer. Comment atteindre une telle perfection ? C’est à désespérer de jamais y arriver. L’acteur rend merveilleusement bien la complexité de son personnage. Je ne pense pas qu’en lisant la pièce avant d’y assister j’aurais pu aussi bien apprécier ou comprendre Cyrano … Le dernier mot de la pièce est « Panache » … Tellement parfait.

Vous l’aurez compris, je ne crois pas avoir assisté à une pièce aussi envoutante, aussi magique que ce Cyrano de Bergerac. Peut être parce que je suis loin d’avoir vu beaucoup de pièces, mais peut être la représentation a t-elle aussi vraiment de quoi être applaudie (je viens d’ailleurs d’apprendre que la pièce avait été récompensée de sept Molières en 2007). Avant-hier, le public a applaudi dix minutes sans interruption, et notre Cyrano, ému, a porté la main à son cœur et baissé la tête pour nous remercier. J’ai été très touchée par ce geste.

« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un serment fait d’un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui se veut confirmer, un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ; c’est un secret qui prend la bouche pour oreille, un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille. »

Alors n’hésitez pas. Il reste encore quelques places de catégorie C pour le mois de juillet. Avis à tous les amateurs : courez-y !

dimanche 21 mars 2010

→ MYSTÈRE BOUFFE - COMÉDIE FRANÇAISE

Cet après midi je suis allée à la Comédie Française. J’adore aller à la Comédie Française et ce quelle que soit la pièce : le cadre fait qu’on a l’impression de faire un petit saut dans le passé. Et hop ! Me voilà transportée dans mon cher XIXème siècle - début XXème ! J’aime énormément l’ambiance, et le spectateur peut jouer le rôle de « celui qui va au théâtre en 1920 ».

Et puis en passant, un peu de publicité : la Comédie Française propose des programmes variés. D'accord les auteurs encore vivants y sont rarement joués, mais ça arrive ! La preuve, c'est la pièce à laquelle je viens d'assister. Ne surtout pas croire que la Comédie Française, c'est seulement pour les personnes du troisième âge qui ne jurent que par Molière !

Bien entendu, la Comédie Française, c’est encore plus satisfaisant quand on va y voir une bonne pièce. Aujourd’hui, j’ai assisté à la représentation de Mystère Bouffe, pièce contemporaine, de l’auteur italien Dario Fo. Difficile de dire de quoi parle la pièce. C’est un ensemble de fables courtes, en rapport avec l’homme et la religion catholique, sur fond de Passion du Christ. Tout est centré autour de l’idée selon laquelle « au Moyen-âge, le peuple a créé la bouffonnerie, parce qu’il en avait besoin, comme moyen de réaction contre l’Eglise et les puissants ».

« Mystère Bouffe » doit s’envisager comme une opposition au « mystère sacré » qu’on trouve dans la Bible. Ce qui est critiqué là, c’est le trop grand sérieux auquel la religion nous oblige, c’est le fait que la religion devienne le moyen de discipliner les foules. Ce à quoi on s’attaque surtout, c’est au concept de « Dieu tout puissant », qui domine l’homme, qui contraint l’homme, qui fait même souffrir Marie et Jésus.

D’ordinaire, je préfère les « vraies » pièces de théâtre, qui racontent une « vraie » histoire, plutôt que les scénettes qui se succèdent les unes aux autres. Mais dans Mystère Bouffe, la construction un peu décousue passe très bien, parce que les fables racontées sont prenantes et variées, et parce que les comédiens sont ma-gis-traux.

Mystère Bouffe est très drôle. La pièce, initialement conçue comme un « one man show », fait se succéder quantité de personnages différents. Chacun y va de sa petite histoire, les personnages sont pittoresques, caricaturaux, grotesques. Certains passages sont tout simples, mais si absurdement drôles ! On peut parler des moines qui méditent tant qu’ils finissent par léviter : « Plus près de toi, Mon Dieu ! », chantonnent-ils en s’élevant dans les airs. Mais alors, il faut trouver un moyen de les redescendre de là ! On peut raconter aussi la résurrection de Lazare : la foule s’agglutine au cimetière, assiste au miracle, et repart en emportant son souvenir « petit Lazare en mousse ». Il y a aussi l’Italien qui séduit la mort, alors que Jésus prend son dernier repas dans la pièce à côté.

Donc cette pièce est irrévérencieuse envers l’Eglise. Jésus qui se sacrifie pour les hommes est traité de fou, les histoires bibliques sont réadaptées façon moyen-âge, on atteint parfois des sommets de bouffonnerie. Je pense ici aux « cochons volants » qui accompagnent la Passion du Christ, seule scène trop « bouffe » à mon goût, et qui m’a un peu gênée.

Irrévérencieuse envers l’Eglise, d’accord. Mais le message reste profondément respectueux de la religion. Il s’agit seulement de replacer l’homme au centre du monde. Dans Jésus, dans Marie, Dario Fo nous demande de voir l’homme, leur bonté, leur compassion. On ne doit plus s’attarder sur l’image de la croix, sur l’image de notre monde de souffrance qui ne sert qu’à préparer l’au-delà : Jésus était formidable, « Dieu tout puissant » est seulement là pour discipliner les faibles, les puissants de ce monde se servent des symboles religieux pour calmer le peuple.

Le peuple n’a plus qu’un seul moyen de se faire entendre : devenir le jongleur, le bouffon qui va faire de la vie quelque chose de riche, de gai, de drôle, de spirituel, celui qui va prendre sa liberté par rapport à la rigidité qui lui est imposée. A la fin de la pièce, Jésus descend de sa croix, et sa croix brûle. Tout est dit : Jésus est quelqu’un qu’on ne peut pas manquer d’aimer, mais il faut se moquer des hommes qui ont fait de la croix le lugubre symbole de la religion.

La pièce est épatante de par sa richesse : on passe des bouffonneries de la populace enthousiaste, à la Passion du Christ, et à la douleur de Marie. Au premier plan de la scène, les acteurs hyper talentueux, jouent seuls, chacun à leur tour, une courte fable. Le même acteur peut jouer de nombreux personnages à lui tout seul … et on voit parfaitement la différence ! J’ai été époustouflée par le talent des comédiens.

Et au fond de la scène, derrière une toile, apparaissent le Christ et sa croix.
Ces scènes sont très dignes, parfois terribles. Jésus qui porte sa croix, Marie qui prie à ses pieds … Ces passages sont poignants et plus vrais que nature. Et souvent, le monde des humains vient empiéter sur la noblesse de la scène, pour la rendre plus dure encore : les gardes qui parient sur le nombre de coups de marteaux qu’il leur faudra pour clouer les mains de Jésus, la croix qui n’est pas stable et Jésus qui est malmené, Marie qui insulte presque l’ange Gabriel qui prétend comprendre sa souffrance de mère …

Je sais que ce que j’écris là peut vous faire penser que Mystère Bouffe est une pièce ultra bizarre, ou pas du tout attirante. Et pourtant Mystère Bouffe vaut vraiment le détour. Les comédiens ont un talent à couper le souffle et leur capacité à faire rire avec peu de mots est extraordinaire.

Et puis les questions soulevées au beau milieu de ces jongleries sont passionnantes, et je ne peux pas m’empêcher de m’en poser d’autres : si au Moyen-âge la religion n’était qu’un moyen de contrôler le peuple, est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Et si non, pourquoi se focalise-t-on toujours si absurdement sur les aspects négatifs, rigides de la religion ? N’est ce pas complètement idiot de rester dans l’idéal religieux moyenâgeux ? Pourquoi on ne pourrait pas tout simplement profiter de la vie ?